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et cette réforme, comme nous allons le voir, fut le plus rude coup que l’on pût porter au patriciat.


II

Les vraies révolutions s’opèrent lentement. Celle qui fit tomber le patriciat romain commença sous les derniers rois, et ne fut achevée qu’au bout de deux siècles. Le premier acte de cette révolution fut une réforme militaire.

On sait que le roi Servius Tullius institua les classes et les centuries ; mais c’est une erreur de croire qu’il s’agit ici d’une nouvelle organisation politique et sociale que ce roi aurait imaginée et créée d’un seul coup. Le mot classe (classis) nous fait illusion : on suppose volontiers qu’il désignait, comme chez nous, une catégorie de citoyens, tandis que dans l’ancienne langue latine il signifiait simplement un corps de troupes. Le mot centurie désignait de même une compagnie de soldats ; l’un et l’autre étaient des termes de la langue militaire. Les classes, telles que le roi Servius les établit, n’étaient pas autre chose que des corps d’infanterie. C’était surtout par leur armement qu’elles se distinguaient. Elles étaient au nombre de cinq ; au-dessus d’elles était la cavalerie, et au-dessous quelques corps d’infanterie légère faiblement armés. Chaque classe avait sa place de bataille, chaque centurie avait son étendard. On ne figurait d’ailleurs dans les classes qu’autant qu’on avait l’âge du service militaire ; on y entrait à dix-sept ans, et l’on cessait d’en faire partie à soixante. Chaque classe se partageait en deux divisions suivant l’âge : les plus jeunes formaient l’armée active, les plus âgés formaient une réserve pour la défense de la ville.

Le roi Servius n’avait donc fait que briser les anciens cadres de l’armée et les remplacer par des cadres nouveaux. Au lieu d’être répartis en tribus, curies, gentes, les soldats furent distribués en corps et en compagnies. Il semblait qu’il n’y eût là qu’un changement dans l’ordre militaire ; mais les conséquences apparurent bientôt dans l’ordre politique.

En effet, à partir de ce moment, le patricien ne commanda plus dans l’armée au même titre qu’il commandait dans sa gens et dans sa curie. Il ne groupa plus ses cliens autour de lui pour les mener au combat, comme il les menait au vote dans les comices curiates. Il est manifeste que les chefs des classes et des centuries n’étaient pas désignés par la naissance. Les patriciens perdirent donc leur autorité militaire. Il résulta de là que l’armée changea de nature, de constitution, d’esprit, d’habitudes. Il s’y fit une révolution