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ne sont hantés par aucun de nos fantômes familiers : la coopération, le crédit gratuit, la participation aux bénéfices, l’anathème contre le capital, rien de ce qui est chimérique ne germe dans ce sol ; les grèves y sont à peine connues et n’amènent pas de violences. A quoi bon là où le salaire est librement débattu et facilement modifié ? L’atelier n’est plus alors une eau stagnante sujette à se corrompre, l’eau court et se purifie en se renouvelant. C’est l’individu qui traite et non la masse ; il faudrait des abus crians ou de grands sévices pour motiver des désertions collectives, et on en a peu d’exemples. Ainsi conditions et caractères diffèrent également des nôtres, et il en est de même des relations d’homme à homme. Les démarcations politiques et sociales n’étant là-bas ni rigides ni profondes, l’esprit de conduite s’en ressent, les ménagemens réciproques sont plus naturels. Le patron sait faire la part de l’indépendance et de la dignité de l’ouvrier, l’ouvrier tenir compte des bons procédés du patron. Si ce n’est pas de la bienveillance de part et d’autre, c’est au moins le respect des personnes fortifié par un véritable esprit de justice. Tout cela est empreint de sincérité et de virilité, et demeure supérieur, à tout prendre, à notre régime manufacturier, qui procède depuis trente ans tantôt par de coupables indifférences, tantôt par des patronages énervans.


III

On a souvent parlé de la rigueur de certaines lois que l’Amérique du Nord conserve à titre de singularités, comme la loi de tempérance, qui compte peu d’infractions ; sur d’autres lois, certes plus essentielles, il y a plus de relâchement. Le même Massachusetts, qui frappe d’interdit jusqu’à un verre de bière, et qui tient la main à ce qu’il ne s’en débite point dans les lieux publics, n’est pas aussi vigilant, à ce qu’il nous semble, au sujet des enfans qui fréquentent les ateliers. La loi est formelle pourtant ; elle dit « qu’aucun enfant ayant moins de dix ans ne sera employé dans les manufactures, et qu’aucun enfant de dix à quinze ans n’y sera employé, s’il n’a suivi, au moins trois mois de l’année précédant son entrée dans l’établissement, une école publique ou particulière dirigée par des instituteurs approuvés par le comité local des écoles. » Et la loi ajoute que « ce travail ne pourra continuer qu’autant que l’enfant aura suivi l’école au moins trois mois de chaque année, et à la condition que trois heures de classe par jour seront jugées l’équivalent de trois mois de fréquentation de l’école. » Elle stipule en outre qu’aucune période moindre de soixante jours de fréquentation effective et qu’aucune période moindre de cent vingt demi-jours de fréquentation ne seront considérées comme l’équivalent de