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pensée qui avait inspiré les fondateurs de la société internationale ; ce fut la raison pour laquelle, sans être médecin, je me mis à la disposition d’une ambulance appelée à un service de campagne ; je croyais qu’on pouvait être utile à la guerre sans savoir couper une jambe ou extraire une balle.

22 août.

Partis de Paris à cinq heures du soir, nous arrivons le lendemain à midi à Châlons : la voie était partout encombrée, le train ne se mettait en mouvement que pour s’arrêter quelques lieues plus loin. La nécessité de laisser passer certains convois très pressés, d’attendre ceux qui arrivaient par tous les embranchemens de la ligne, de ne pas séparer les régimens d’un même corps amenés de divers points, la crainte des accidens dans un moment où tous les services étaient irréguliers, multipliaient s’ans cesse les causes de retard. Les chemins de fer ont supprimé les distances ; mais quand on voit de près la lenteur des embarquemens et des débarquemens, surtout pour les bagages et les bestiaux, on comprend que, même dans ce siècle de vapeur et d’électricité, il faille compter avec le temps. L’impatience du public et des nouvellistes dans vingt occasions récentes a trop oublié ces vérités très simples ; le chef du train nous disait : « Je suis heureux quand je fais mes cinquante lieues dans la journée. » Je ne sais si la Prusse a eu l’art de mieux profiter que nous des services que peuvent rendre les chemins de fer ; mais la rapidité avec laquelle elle a réuni en douze jours une armée immense permet de supposer que par un ordre sévère, grâce à un plan unique arrêté d’avance et suivi de tous points, grâce surtout au système des zones[1] et des comités spéciaux si heureusement mis à l’essai dans la campagne de 1S66, elle a souvent évité les retards. Du reste, les Allemands se sont départis de leur prudence habituelle ; les accidens signalés sur plusieurs points, et qui en temps ordinaire sont si rares de l’autre côté du Rhin, en font foi.

Le 22, on nous apprend que nous allons à Reims. Personne ne sait la route que nous prendrons plus tard. Nous sommes comme les soldats ; tous ceux que nous rencontrons ne peuvent dire où ils vont ; ils ignorent presque tous où sont leurs généraux et les divisions dont ils ne font pas partie. Nous passons la nuit dans les wagons en face de Thuisy, plus ignorans des mouvemens de l’armée que ne l’est à cette heure un habitant de Londres ou de Paris. Au matin, l’ambulance descend dans la plaine qui borde la voie. —

  1. Sur l’importance du système des zones, on connaît l’étude si précise de M. le prince de Joinville : Un dernier mot sur Sadowa, dans la Revue du 1er février 1868.