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quêtes « à cheveux blancs » dont parle M. Bancroft en félicitant la vieillesse de « jouer cette année le rôle le plus important sur la terre. » La Prusse n’est pas au bout de son œuvre, la France n’est pas au bout de ses forces, et chaque jour maintenant, on peut le croire, nous rapproche du moment où la question sera de nouveau engagée sur plus d’un champ de bataille, où les Prussiens à leur tour pourront bien se voir déconcertés dans leurs calculs et trahis par cette fortune de la victoire dont ils ont voulu abuser. Il faut bien se dire qu’après l’effroyable désastre de Sedan et la décomposition où il nous laissait un instant, il y avait une période difficile à traverser, qu’un pays a besoin d’un certain temps, ne fût-ce que de quelques semaines, pour panser de telles blessures, pour se reconnaître, pour refaire ses moyens de défense et retrouver en quelque sorte le fil de sa destinée. Cette période de réorganisation et d’attente que nous traversons en réalité depuis près de deux mois, cette période est dure sans doute ; elle a ses conditions, ses lenteurs qui pèsent quelquefois à l’impatience publique, ses nécessités, dont la plus cruelle est cette séparation prolongée de Paris et de la France qu’on a hâte de voir cesser ; mais elle n’a point été sans profit, puisqu’elle a rendu un retour de fortune possible au prix même de ces épreuves que nous supportons. Le gouvernement nouveau a fait certainement à Paris plus qu’on ne pouvait attendre, et en province il a fait ce qu’il a pu. Paris a donné à la province le temps de se lever pour la défense commune, la province ne manquera point aujourd’hui à Paris. Militairement, c’est le résultat palpable, tout au moins vraisemblable que la marche prochaine des événemens ne fera que dégager de plus en plus sans doute, et ces six semaines de constance nous ont été bonnes en vérité. M. de Bismarck lui-même, de son côté, nous est venu en aide plus qu’il ne l’a cru ; il nous a rendu le plus grand service qu’un ennemi tel que lui pût nous rendre, en nous montrant notre devoir dans toute sa simplicité saisissante et virile, en publiant sur les toits les projets de son âpre ambition, en dévoilant à tous les regards, même aux yeux de ceux qui ne demandent qu’à ne pas voir, la situation respective de la France et de la Prusse dans cette violente lutte. Cette situation, elle se dessinera, elle apparaîtra de mieux en mieux à mesure qu’on s’éloignera des confusions qui ont préludé à cette guerre de 1870. Nous ne pouvons savoir encore bien exactement ce que M. Thiers a fait à Londres, à Vienne, à Saint-Pétersbourg. Quand il n’aurait réussi qu’à rétablir la vérité des choses et des situations, qu’à réveiller des doutes ou des prévoyances endormies, qu’à dégager la politique de notre pays de toutes les obscurités compromettantes, à préparer le terrain de combinaisons nouvelles, il aurait encore sérieusement servi la France.

Il est surtout un fait singulier et obsédant. Est-ce qu’il n’est pas clair aujourd’hui qu’il y a eu sur les commencemens de cette guerre de 1870