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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 octobre 1870.

Notre situation commence à devenir étrange dans ses obscurités inévitables et dans sa simplicité tragique. Paris, enfermé dans sa cuirasse de fer, s’endort chaque soir comme un bon chevalier gardant son armure jusque dans le repos, et chaque matin il se réveille, se remettant à vivre de sa vie ordinaire, marquant seulement un jour de plus dans la redoutable épreuve qu’il traverse sans faiblir à Paris se suffit à lui-même depuis un mois et demi ; il forme à lui seul un état, une société, un monde, — un monde pour le moment borné par Saint-Denis et Clamart, par Saint-Cloud et Vincennes. Au-delà de cet horizon, à ce qu’il paraît, c’est la Prusse campée et immobilisée devant le canon de nos forts.

On croyait que Paris, la ville des plaisirs, des frivolités bruyantes, des élégances amollissantes et des corruptions, mauvaises conseillères, ne résisterait pas à la première sommation d’une armée infatuée de victoires, ou que tout au moins l’opulente cité ne ferait pas pour longtemps le sacrifice de ses goûts, de ses habitudes de bien-être, de son luxe et de ses vanités. On s’est trompé ; Paris s’est fait tout de suite à la vie sévère des sièges, et il s’en est imposé de lui-même toutes les rudesses sans hésitation. Il a fait trêve à ses réunions mondaines, il a fermé ses théâtres sans murmure ; il a vu la cognée abattre les ombrages de ses promenades préférées, de son bois de Boulogne, et il n’a pas songé à se plaindre. S’il faut d’autres sacrifices, qu’on le sache bien, il est tout prêt. Il ne livrera certes pas de lui-même ses monumens aux flammes, il fait ce qu’il peut pour les garantir ; il ne commettra pas une faiblesse pour les sauver du bombardement, si bombardement il y a, et le jour-