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encore sur elle-même vers Saint-Ouen et Saint-Denis. Maître de ce fort, l’ennemi pourrait bombarder la capitale, et s’il avait ses canons Krupp, qui portent à 8 kilomètres, il lancerait jusque sur la place Vendôme ses boulets et ses obus. La Seine, au pied du Mont-Valérien, forme cependant une ligne de fortification naturelle : c’est un vaste et profond fossé rempli d’eau, et entre Saint-Ouen et Auteuil l’ennemi ne pourrait passer le fleuve, pour venir battre à l’ouest notre ligne continue des remparts, que sous le feu concentrique de nos canons.

Il faut entrer dans quelques-uns des forts dont nous venons de citer les noms. A Vincennes, ce vieux château de nos rois capétiens, on retrouve la fortification du moyen âge, aux murs hauts, crénelés, s’élevant de fossés profonds, qui se marie à la fortification plus savante des temps modernes, dont les ouvrages semblent rentrer dans le sol. C’est ce dernier système de fortification dont notre illustre Vauban, coordonnant et complétant les travaux de quelques rares devanciers, a fixé irrévocablement les principes. On entre par un pont-levis directement sur la place d’armes, où les piles de boulets, les canons, les mortiers, les affûts, se pressent de tous côtés. Un peuple de militaires et de charretiers vont et viennent ; on est presque étonné de voir s’élever à droite l’élégante église gothique de saint Louis, bâtie sur le même type que la Sainte-Chapelle, à gauche le donjon, modèle de vieille architecture militaire, où plus d’un illustre personnage a été mis sous les verrous.

Par un des escaliers à vis qui règnent au dedans des murs, on arrive sur les remparts de la forteresse, où l’on compte en nombre très rassurant, à tous les angles et le long des courtines, les canons et les mortiers. Du sommet du donjon, la vue sur Paris et la campagne environnante est magnifique : c’est d’abord la plaine de Saint-Maur, où sont installés le tir à la cible, le polygone, le champ des manœuvres, et plus loin le bois de Vincennes avec tous les embellissemens qu’une municipalité dépensière et fastueuse y a créés à si grands frais ; ce sont ensuite les hauteurs de Pantin, de Romainville, de Nogent, couronnées de forts, et au-delà la forêt de Bondy où se cachent les Prussiens. Au coude de la Marne, c’est la jolie petite ville de Saint-Maur avec ses canaux et ses écluses, aujourd’hui endormies, avec ses moulins au repos ; un peu plus au fond dans les bois, on voit monter verticalement, tant l’air est pur, une fumée bleuâtre et transparente ; c’est l’emplacement d’un camp ennemi. Le long de la route qui descend vers la Marne sont nos avant-postes, protégés par les feux de la Gravelle, et partout, dans le bois de Vincennes, le long des immenses allées, on aperçoit des alignemens de tentes et des groupes pittoresques de soldats. Sur