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moyen d’obtenir de nous la paix est de nous mutiler et de nous épuiser. Cet arrêt ne concorde guère avec ce qu’il a dit plus haut de la grandeur nécessaire de la France ; nous avions raison de ne pas prendre au sérieux son apparente équité. Son second motif est que la constitution de la nation allemande doit être essentiellement fédérative, assure-t-il, et non pas unitaire ; une des conséquences de cette guerre va être que l’état fédéré allemand sera plus puissant que par le passé et qu’il réclamera par conséquent un domaine plus étendu. Enfin l’occasion crée à la Prusse un nouveau et saint devoir que M. Mommsen explique comme il suit :


« Depuis trois siècles, les états voisins de l’Allemagne se sont agrandis à ses dépens. En Autriche, en Russie, en Suisse, vivent, comme en France, des millions d’Allemands. Nous ne les avons pas cependant réclamés, nous n’avons pas prétendu refaire et redresser l’histoire. En Livonie, à Riga, à Dorpat, nous ne pouvons voir assurément d’un bon œil la guerre ardente que la Russie dirige contre nos nationaux ; nous nous gardons bien toutefois de les secourir ou de leur faire concevoir de fausses espérances : le temps des croisades est passé. Toutefois à l’égard de la France la situation n’est plus la même, et, puisque la revendication de ce côté est redevenue facile, que diraient nos descendans, si nous la négligions ?… Nous voyions avec douleur le drapeau français flotter sur cette merveilleuse cathédrale de Strasbourg, chef-d’œuvre de l’architecture allemande. Si nous lisions les poésies écrites par Goethe étudiant à Strasbourg, et, dans son autobiographie, la délicieuse idylle de Sesenheim, la plus vive et la plus belle incarnation poétique de l’amour allemand, nous ne fermions pas le livre sans nous demander comment nos pères avaient pu laisser ravir ce champ sacré de notre poésie par des étrangers pour qui ces fleurs n’exhalent pas tous leurs parfums, et que nous savions occupés à en extirper notre langue, nos coutumes et notre culte… A part quelques petites enclaves, la population de l’Alsace est encore aujourd’hui tout allemande. Depuis qu’on veut y imposer le français dans les écoles, elles cessent d’être fréquentées, et le niveau de l’instruction populaire s’abaisse. La littérature allemande y est seule vivante, particulièrement les légendes et les chants populaires ; surtout l’Alsace est demeurée en grande partie protestante, et ses théologiens sont restés en rapports constans avec l’Allemagne. Peu de jours avant la guerre, le pasteur d’un village près de Strasbourg déclara à ses ouailles qu’il ne pouvait prier pour la défaite de ses frères ; il posa sous la porte les clés de son église, et il est aujourd’hui aumônier d’un régiment allemand. Il en est de même pour la Lorraine, qui retint si longtemps la langue allemande comme langue officielle, et ou le peuple la parle encore. Nous n’ignorons pas que ces