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pour la civilisation et pour l’humanité. Peut-être était-ce une grave imprudence, on finira par nous en convaincre. En tout cas, au prix de notre sang la domination des Allemands en Italie a commencé de prendre fin ; par nous, elle a été réellement détruite. Quelque mépris que professent certains hommes d’état à l’endroit de la politique de sentiment, l’Europe et la Prusse ont cru dès le début de la guerre à une alliance entre l’Italie et la France. C’est pour cela que M. Mommsen et les principaux organes de la presse ont en hâte adressé leurs instances à l’Italie. S’il fallait même ajouter foi à de certains témoignages, si l’on devait admettre comme réelle certaine visite au héros de Caprera, les mesures étaient déjà prises pour arrêter et en même temps punir tout essai d’intervention italienne en créant de très fâcheux embarras au cabinet de Florence. À ce cabinet devenu docile au contraire, quelles brillantes perspectives non pas seulement d’unité intérieure par une nouvelle conquête, mais de prétendue réparation sur la frontière maritime et alpestre ! L’arrestation de Mazzini, ordonnée par le gouvernement italien, serait un fait à l’appui des premières insinuations, et avec le reste concorderait le conseil pressant donné par M. Mommsen de profiter vite des circonstances pour mettre la main sur Rome. Des médisans avaient cru savoir naguère que le roi de Prusse avait eu la pensée d’offrir lui-même la protection de ses soldats au saint-père ; mais qu’importe ? au gré de la politique changent les scrupules de légalité. Qu’en disent seulement les Bavarois et les Rhénans ?

La Prusse ne s’émouvait ainsi à la pensée d’une alliance franco-italienne que parce qu’elle avait la conscience du devoir qui paraissait incomber naturellement à l’Italie. Pour l’en détourner toutefois, M. Mommsen demande si ce n’est pas plutôt la Prusse qui doit compter sur la reconnaissance. — En effet, la Prusse, elle aussi, a été un jour l’alliée des Italiens, non pas certes dans la pensée d’être utile à un grand peuple, ni avec l’unique intérêt de mériter dans l’avenir son alliance par des bienfaits, non : l’intérêt immédiat et direct de la Prusse était trop évident. Profitant de l’œuvre accomplie par nous, elle voulait de ce peuple par nous relevé une diversion l’aidant elle-même à triompher en Allemagne de ses ennemis allemands. Certes nous en croyons aisément M. Mommsen, la Prusse pouvait applaudir à la journée de Novare : on y faisait ses propres affaires contre l’Autriche, sans qu’elle s’en mêlât. M. Mommsen rappelle aussi la journée de Custozza sans le moindre scrupule ; pourquoi ne pas nommer en même temps celle de Lissa, ne fût-ce que par patriotisme tudesque et pour achever de convaincre les Italiens par un langage tout pratique ? Il y a dans ces souvenirs rétrospectifs une autre lacune qu’il nous faut réparer. Cette tendresse