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incomplet sous ce rapport, n’a pour mission sérieuse que de les faire surgir. Nous prendrions d’ailleurs bien mal notre moment pour médire de la supériorité, lorsque nous ne sommes pas encore sortis de l’abîme où nous avait précipités un si prodigieux assemblage d’incurie, d’insuffisance et d’incapacité.

Si les considérations qui précèdent sont justes, il resterait acquis que la monarchie, toujours déclinante depuis 89, n’a pas rempli la seule condition qui la recommande aux yeux du pays : la stabilité ; que toute monarchie héréditaire instituée en France est grosse d’une révolution à l’échéance moyenne de dix-sept ans, et que par conséquent la raison commande de chercher dans d’autres combinaisons cette stabilité, cette sécurité si justement chères à nos sociétés laborieuses.


III

Une autre objection est souvent faite à l’établissement de la république, et celle-là paraît au premier abord plus sérieuse et plus fondée. On allègue la situation d’esprit des classes ouvrières, le très légitime désir qu’elles éprouvent d’améliorer leur sort, les moyens très contestables qu’elles supposent généralement les meilleurs pour réaliser leur idéal, le levier puissant que le suffrage universel met en leurs mains, la facilité que les agitateurs de vocation ou de profession trouvent à mettre le feu à ces matières inflammables, et les dangers qui en peuvent résulter pour la société tout entière, si les occasions favorables à l’agitation se multiplient, si le pouvoir n’est pas placé dans des mains fermes et résolues.

En acceptant l’objection tout entière et sans, pour un moment, en discuter les termes, nous ferons remarquer que la difficulté, une fois admise, serait la même pour toutes les formes de gouvernement. Si les ouvriers veulent améliorer leur sort, s’ils poursuivent ce but par des voies chimériques et impraticables, s’ils ne sont pas assez éclairés pour discerner ce qui est possible de ce qui ne l’est pas, s’il y a à côté d’eux des fous furieux ou des échappés de Charenton qui exploitent leur passion et leur malaise, c’est là une difficulté inhérente à la société française, qui pèsera sur la monarchie comme sur la république, avec cette différence toutefois (juin 1848 l’a bien prouvé) que dans le cas extrême d’un appel à la force la république puise dans le caractère général et impersonnel de son mandat des forces auxquelles aucune monarchie n’aurait osé faire appel. Devant une insurrection, un roi peut douter de lui-même et abdiquer. La république, c’est-à-dire l’ensemble de la nation, n’abdique pas. Cette partie de l’objection écartée, disions que les classes