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Il serait puéril de nier la difficulté que depuis 89 la France éprouve à fonder un gouvernement. Cette difficulté est éclatante comme le soleil ; elle compose pour ainsi dire tout un chapitre, non le moins curieux assurément, de notre histoire politique. Seulement pour être juste il faut reconnaître que cette difficulté n’a point porté exclusivement sur une forme particulière, mais sur toutes les formes de gouvernement. Si la république a échoué deux fois, en 93 et en 1848, la monarchie a péri quatre fois entre les mains de Napoléon Ier, de Charles X, de Louis-Philippe et de Napoléon III. Elle a échoué si complètement, qu’aucune de ces monarchies, déclarées perpétuelles et héréditaires, n’a été seulement viagère. Pas un monarque depuis 89, sauf Louis XVIII, qui eut la chance de ne régner que neuf ans, n’est mort sur le trône. Aucun héritier légitime, sauf Charles X, n’a hérité, si bien qu’à force de contempler cette instabilité d’une institution dont le principal mérite est ou devrait être la stabilité, beaucoup d’esprits sincères en sont venus à se demander si toutes ces restaurations, qui n’ont rien restauré, doivent compter pour autre chose que pour un assemblage incohérent de quelques vieux débris sous lesquels la société cherche un abri provisoire, dans l’attente d’une construction nouvelle qui n’est pas encore achevée.

Chacune de ces éditions successives de la vieille monarchie n’en présente en réalité qu’une image de plus en plus affaiblie et décolorée. Ce n’est pas une restauration ; c’est un pastiche. Napoléon ressemble à Charlemagne comme Louis XVIII ressemble à Louis XIV, comme Charles X ressemble à saint Louis ou à Henri IV. Les restaurations ne restaurent rien ; les grands esprits du parti, de Maistre et Bonald, ne se font à cet égard aucune illusion et s’en plaignent amèrement. Déjà sous Louis-Philippe l’avènement politique de la bourgeoisie modifie jusqu’au langage, au caractère et à la forme de l’institution royale. On sent à merveille que les mêmes mots ne représentent plus les mêmes choses, qu’une société nouvelle, animée d’un autre esprit, a pris place sous ce reste de décoration monarchique. Quant à Napoléon III, non-seulement il ressemble bien moins à son oncle que celui-ci ne ressemble à Charlemagne ; mais le suffrage universel, de qui il tient tous ses pouvoirs, reste constamment suspendu sur sa tête comme une menace qu’il s’efforce vainement de conjurer, et qui l’aurait emporté quelque jour, s’il n’avait été follement de lui-même au-devant de la destinée.

Or, s’il est vrai que l’hérédité soit l’attribut et le caractère distinctif de la monarchie, comment espérer que la monarchie nous donne ce qu’elle n’a pas elle-même, la stabilité ? Et que penser de tous les argumens invoqués en faveur d’une hérédité démentie par