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LA
SOCIETE DE BERLIN
DE 1789 A 1815
D’APRES DES CORRESPONDANCES ET DES MEMOIRES DU TEMPS PUBLIES DE 1859 A 1869.

III.
LE REVEIL D'UNE NATION[1].


I

« Oui, » écrivait de Rome Guillaume de Humboldt à Henriette Herz en 1807, pendant qu’on se battait encore à Eylau et à Friedland, « oui, nous sommes malheureux, et tous ceux qu’unissait autrefois un cercle gai et inoffensif le sont avec nous ; mais le germe de notre malheur était dans notre insouciance d’alors. » Ce sentiment fut général après Iéna. Tout d’abord c’avait été comme un étourdissement ; on avait regardé autour de soi stupéfait, on eût dit une ville endormie se réveillant au bruit d’un tremblement de terre ou d’une éruption volcanique. « Tout calcul de ce qui peut s’ensuivre, » disait Hélène Jacobi à son frère le philosophe, « est impossible même au plus habile des politiques et des tacticiens… Nous ne voyons que la dernière main sous laquelle la machine

  1. La publication de cette série sur la Société de Berlin à une autre époque, à un moment où la Prusse avait aussi ses désastres, où elle ne songeait guère à ce langage hautain et cruel d’aujourd’hui, a été interrompue par la guerre, et on comprendra le sentiment qui a dicté cette résolution. Maintenant que notre malheureux pays a été si étourdiment lancé dans des désastres pareils par un autre Napoléon, il peut être utile de lui montrer comment une nation se réveille et renaît a la vie, et cela par l’exemple même de cette Prusse du premier empire. Que ce tableau, tracé avant cette terrible guerre, d’autant plus terrible qu’elle a été plus inopinée, par une plume d’origine germanique, par un professeur de faculté hospitalièrement admis au foyer de la France, apprenne à celle-ci ce qui lui reste à faire contre l’armée envahissante, au service d’hommes non moins infatués, non moins imprévoyans que celui qui écrasait alors leur pays sous son foi orgueil, s ! bien que les écrivains de la France libérale l’ont autant condamné que ceux de l’Allemagne même. Il faudra voir si les écrivains de l’Allemagne nouvelle condamneront le roi Guillaume pour ruiner la France, pour continuer sans motif depuis la triste journée de Sedan une guerre impie, d’autant plus impie que la Prusse a pris déjà une dure revanche en 1814 et 1815 des guerres du premier empire. (N. de la R.)