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Celles-ci sont fournies surtout par onze départemens ; la Nièvre, l’Allier et le Pas-de-Calais sont ceux qui en envoient le plus. Elles ont dans les vieux bâtimens de l’hospice une salle commune ; elles s’y tiennent pendant le jour et travaillent à quelque ouvrage de couture en attendant qu’on leur ait remis un nourrisson, ou que le moment de partir soit venu. La nuit, elles couchent dans un dortoir situé sous les combles, où les lits, trop nombreux, ne sont pas assez espacés. A les voir assises et tirant l’aiguille, un peu déroutées par ce milieu inconnu, n’osant guère parler à voix haute à cause de la surveillante qui les garde, on reconnaît promptement leur provenance, non pas au costume, qui tend de plus en plus à devenir uniforme en France, mais à la coiffure, qui a conservé quelque originalité de terroir ; les femmes d’Ille-et-Vilaine portent le petit bonnet plissé qui rappelle de loin la bandelette égyptienne ; celles de la Sarthe ont l’horrible coiffe qui paraît avoir été inventée précisément pour faire valoir les défauts du visage ; celles de l’Allier sont à demi enfouies sous le chapeau de paille à rubans noirs qu’on place comme un casque sur le front, qui cache les yeux et découvre la nuque. Toutes ces femmes m’ont paru d’une laideur exemplaire, certificat de vertu que les sous-inspecteurs recherchent peut-être avec soin. Lorsque l’heure de rejoindre leur pays est arrivée pour elles, on leur remet la layette[1], un flacon de miel rosat destiné à combattre le muguet, qui si souvent attaque les nouveau-nés, et pour elles-mêmes, afin qu’elles n’aient point froid en route dans les inhospitaliers wagons de troisième classe, que l’administration des chemins de fer ne chauffe même pas en hiver, on leur donne un manteau en molleton bleu très ample et muni d’un capuchon. Les frais de voyage sont naturellement à la charge de l’administration, qui, en 1869, a dépensé 170,107 francs 6 centimes pour cet objet. Les mois de nourrice et la pension des enfans assistés sont réglés par un tarif uniforme, qui a été légèrement augmenté il y a cinq ans. Pendant la première année, la nourrice reçoit 15 francs par mois, pendant la seconde 12 francs, pendant la troisième et la quatrième 8 francs, pendant la cinquième et la sixième 7 francs, de la septième à la douzième 6 francs. L’enfant est-il gardé par la femme qui l’a nourri ? Souvent. C’est au reste le devoir des sous-inspecteurs de déplacer les pupilles de l’assistance quand il le juge convenable, et de leur trouver des familles adoptives qui en prennent soin et les dirigent dans la bonne voie.

  1. La layette emportée par les nourrices est très complète ; elle se compose de 4 béguins, 2 bonnets d’indienne, 2 brassières de laine, 2 brassières d’indienne, 1 calotte de laine, 4 chemises à brassière, 12 couches, 1 couverture de berceau, 4 fichus simples, 3 langes piqués, 2 langes de laine. La valeur en est de 25 francs 82 centimes.