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celles de Normandie disent : Il faut sauter les enfans ; il faut les mouver, disent les Bourguignonnes. Ceux auxquels manque cette gymnastique artificielle, qu’on ne fait point danser sur les bras, qui n’ont jamais vu la « risette » maternelle, qui n’ont point entendu les berceuses naïves et lentes qui les calment et les endorment, qui n’ont pu se rouler à l’aise sur l’herbe des champs ou sur le parquet des chambres, qui sont maintenus dans un repos anormal, ceux-là tombent en mélancolie, se fanent et trop souvent meurent. On cherche un nom scientifique, une cause secrète, peut-être héréditaire, à la maladie qui les a emportés ; il est inutile de se donner tant de peine : ils sont morts tout simplement d’inaction. Or cette activité permanente qui développe les forces de l’enfant, qui lui procure un bon sommeil, qui en un mot lui donne la vie, est-elle possible à l’hospice de la rue d’Enfer ? Non ; le personnel est insuffisant. Il n’a rien de commun, je me hâte de le dire, avec celui des hôpitaux, et les filles de service ne peuvent, sous aucun rapport, être comparées aux infirmières. Ce sont pour la plupart des filles de campagne, des Auvergnates et des Bretonnes, spécialement choisies par les sous-inspecteurs provinciaux des enfans assistés et par eux envoyées à l’hospice de Paris. Elles sont assidues, fort dévouées et forcément désintéressées dans un établissement où les pensionnaires, n’ayant jamais un sou vaillant, ne peuvent rien donner ; mais leur nombre est trop restreint. Chacune en moyenne a dix enfans à soigner, à faire manger, à nettoyer, à changer, à coucher, à endormir. Récemment on a augmenté ce service, et cependant il reste encore au-dessous des besoins. Les choses se modifieront, il faut l’espérer, et arriveront à un état meilleur : mais actuellement, lorsqu’on veut porter un remède radical et immédiat au mal constaté, on se heurte à d’insupportables questions d’argent qui paralysent les volontés les plus robustes et font ajourner des améliorations essentielles.

Pour ces chétives créatures, dont bien souvent la vie ne tient plus qu’à un fil quand on les apporte à l’hospice, une infirmerie n’est que trop nécessaire. Aussi celle de la maison est vaste, bien distribuée et divisée en deux services : celui de la médecine et celui de la chirurgie. En visitant ce dernier, on est surpris du nombre d’enfans couchés sous des rideaux bleus et dont les yeux sont cachés par une compresse humide : ceux-là sont atteints d’une ophthalmie que trop souvent ils doivent à leur mère. Cette infirmerie est navrante à voir, elle est l’image même de l’abandon. Malgré le va-et-vient des servantes qui s’empressent autour des petits lits, malgré la présence active et bienfaisante des sœurs, qui, là plus que partout ailleurs, sont d’admirables infirmières, l’enfant, au moment où il a le plus besoin d’être choyé et dorloté, est dans une solitude désespérante. Je me suis arrêté à regarder une pauvre fillette de quatre ou cinq