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fait encore durement sentir, la terre seule produisait ; aussi était-ce à la terre que l’on demandait de remplir les caisses du fisc. N’est-il pas temps de préparer une répartition plus équitable des impôts ? n’est-il pas temps de ne plus accabler, au détriment d’ailleurs de la nation entière, la partie la plus nombreuse de la nation, celle dont le labeur est à la fois le plus rude et le moins rémunéré ?

En étudiant les opinions et les vœux qu’ont récemment émis, au sujet de cette question des laines, un grand nombre de comices et de sociétés d’agriculture, nous avons été frappé souvent de la double conclusion que donnaient les partisans du régime protecteur. Nous voulons, disaient-ils, en premier lieu la dénonciation des traités de commerce et subsidiairement telles et telles réformes intérieures. Or ce sont justement ces vœux subsidiaires qui devraient avoir la première place ; si l’on accomplissait tous ceux qui, sans utopie, sont réalisables, nul doute que l’agriculture française ne parvînt promptement à un état de prospérité qui ferait vite oublier leurs griefs aux plus chauds détracteurs du nouveau régime économique. Que souhaitent-ils en effet pour la plupart ? Si vous feuilletez leurs cahiers, vous y trouverez toujours, à peu de chose près, ce programme : suppression des octrois, refonte du cadastre, réduction et perception plus équitable des droits de mutation, des droits fixes d’enregistrement, de timbre, de quittance, etc., suppression des droits sur les échanges d’immeubles et sur les partages anticipés, réduction des droits sur les baux à ferme, sur les ventes mobilières et sur les ventes de récoltes, simplification des procédures de purge d’hypothèques, d’ordre de saisie immobilière, etc., promulgation de bonnes lois rurales sans qu’on attende l’achèvement d’un code qui paraît devoir ne s’achever jamais, constitution du crédit agricole tel qu’il est établi dans nos colonies, extension de la juridiction des juges de paix, diminution du contingent militaire et réduction du taux de l’exonération, développement de l’enseignement agricole, — cent autres demandes encore qu’il serait bien long d’énumérer. N’est-ce pas beaucoup, trop peut-être ? Oui sans doute, et toutes ces questions ne sont pas de celles que l’on peut trancher en un jour ; mais voilà bien la direction qu’il faut prendre, voilà les points où doivent se concentrer les préoccupations et les études. Quant aux grands faits économiques qui de temps en temps nous étonnent, nulle convention, nul traité, nulle diplomatie, ne seront capables d’y rien changer ; ce sont des torrens qui se jouent des barrières que nos faibles mains tentent de construire, et la baisse des laines, dans les circonstances où elle s’est produite, n’est pas moins naturelle et moins inévitable que ne le fut la dépréciation de l’or après la découverte des mines d’or du Nouveau-Monde.


EUGENE LIEBERT.