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carrière aux agitateurs ambitieux, de se faire la complice des promoteurs d’une commune révolutionnaire ; ce qu’elle a bien mieux compris encore, c’est qu’elle ne devait rien faire ni rien permettre qui pût la séparer des provinces, du reste de la France, et par le fait toutes ces menées violentes, artificielles, se sont trouvées submergées dans le mouvement patriotique de la population tout entière, de la garde nationale, accourant en immense majorité autour de l’Hôtel de Ville comme une force de préservation. C’est la réaction qui triomphe, se sont écriés aussitôt les meneurs de cette étrange campagne ; cela n’est point douteux, car il est depuis longtemps entendu que lorsqu’ils ne triomphent pas, c’est la réaction, qu’ils sont à eux seuls la France, la révolution immaculée, la république orthodoxe, et surtout pour le moment la défense nationale. Le danger des agitations immédiates est passé sans doute ; il ne doit pas moins rester comme une lumière pour le gouvernement, qui aurait peut-être pu éviter cette crise avec un peu plus de décision. Ce qui a fait un instant sa faiblesse, c’est une apparence d’incertitude et d’hésitation dans cette affaire des élections municipales qu’on a voulu transformer en arme de guerre contre lui ; il a retrouvé un ascendant à peu près irrésistible, un énergique appui dans l’opinion dès qu’il s’est prononcé nettement, dès qu’il a montré qu’il voulait rester sur le terrain inébranlable, inviolable de la défense nationale, et ici il faut bien y songer ; il faut absolument que les hommes honorables qui ont reçu le 4 septembre un mandat de nécessité se gardent de ce qui pourrait ressembler à un scrupule de désintéressement ou de déférence pour un prétendu vœu populaire, et ne serait en réalité qu’une défection. Il y a une chose dont le gouvernement doit bien se rendre compte et qui lui fait de la fermeté un devoir d’honneur, c’est qu’il n’est pas là apparemment pour son plaisir, ni même, nous le supposons, par ambition. Il est à l’Hôtel de Ville comme une sentinelle avancée qui n’a pas le droit de se relever elle-même de sa faction, et que Paris seul n’a pas même le droit de relever. M. Henri Rochefort l’a dit dans un semblant de jeu de mots à travers d’autres choses inutiles : « Il a accepté sa mission, il n’est pas libre de donner sa démission. »

Paris l’a conduit ou l’a laissé s’établir à l’Hôtel de Ville et s’est rangé aussitôt autour de lui ; la France entière l’a reconnu et consacré de son adhésion spontanée. Le gouvernement actuel a sa raison d’être dans cette double sanction, et depuis que l’investissement, par une violence momentanée, est venu scinder en quelque sorte le pays en deux parties, il n’est plus à son poste qu’un otage ne s’appartenant pas à lui-même, appartenant à la France, qui doit le retrouver là où elle l’a laissé en lui confiant le dépôt de l’honneur national. Voilà ce qu’a compris instinctivement, patriotiquement, la population parisienne quand elle a refusé de se prêter à la création d’un pouvoir de parti ou de localité, d’un con-