Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/735

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

campagne, un de nos amis se trouvait à Saint-Mihiel deux jours avant l’occupation de cette ville par les Prussiens. Il y arriva de la cavalerie de différentes armes. Tous les chevaux avaient souffert des marches forcées et de la faim ; ils n’avaient pas mangé depuis longtemps. Après avoir pris la ration distribuée, les chevaux arabes se couchèrent, s’étendirent au piquet. Ils avaient l’air plus fatigué que les chevaux français ; mais quelques heures après leur arrivée, quand la trompette sonna l’heure du départ, il fallait les voir, nous disait-on, se relever avec vivacité, porter la tête haute, dresser les oreilles. Ils montraient plus de vigueur et d’énergie que n’en montrent nos chevaux après trois ou quatre jours de repos. — L’Algérie a fourni peu jusqu’ici, mais elle pourra être d’un grand secours lorsque, débarrassée des entraves administratives, elle portera toute l’activité de ses colons à reboiser les montagnes et à développer son agriculture. Nous comprendrons alors la production de ces innombrables chevaux que montait la cavalerie numide, production dont il est impossible de se rendre compte quand on considère aujourd’hui l’état du département de Constantine.


II

On a toujours cherché dans des circonstances indépendantes des lois physiologiques et des conditions économiques de la production la cause des difficultés qu’éprouve notre cavalerie à faire ses remontes. « L’émigration, écrivait le général de La Roche-Aymon, la perte des fortunes, le besoin même de les dissimuler pour éviter l’envie et ses dangers, la vente, le morcellement des biens des émigrés, des déportés et des condamnés, ayant diminué les moyens de consommation et d’encouragement pour la race des chevaux de luxe, on se jeta presque exclusivement dans la production des gros chevaux, bons pour les seuls rouliers, les diligences, les voitures publiques et les postes du royaume. » Cette question se rattache directement à notre sujet. Pourquoi la production des chevaux de trait s’est-elle développée au préjudice de celle des chevaux de selle dans toutes les contrées assez fertiles pour nourrir des animaux de forte corpulence ? Ce n’est pas à cause des circonstances passagères signalées par le général français, c’est parce que les chevaux de trait répondent à des besoins généraux de tous les temps, de toutes les provinces, et qu’ils sont toujours d’une vente facile, — parce que l’élevage en est peu dispendieux, et qu’il n’offre aucune chance aléatoire. S’il survient à un cheval de trait un accident même très grave, comme la perte de la vue, il peut encore rendre de bons services ; le même accident arrive-t-il à un cheval de selle, il lui