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l’Angleterre peuvent être appelées à régénérer nos troupeaux ; mais ce n’est pas tout, et nous pouvons regarder ailleurs encore autour de nous. De telle race étrangère qu’on eût autrefois dédaignée lorsqu’on ne songeait qu’à la perfection de la laine, on peut aujourd’hui tirer un précieux concours. C’est ainsi qu’on s’est demandé l’année dernière, au congrès agricole d’Aix-en-Provence, si l’on ne devrait pas introduire ces moutons africains à grosse queue de la province de Constantine, qui sont déjà importés en grand nombre pour l’alimentation publique sur les marchés du littoral français méditerranéen. Au sud-ouest de la France, un professeur distingué de l’école vétérinaire de Toulouse, M. Gourdon, recommande d’améliorer les troupeaux par le croisement avec deux races du nord de l’Espagne, la race charra et la race lacha : l’une, plus répandue en Navarre, de taille assez élevée, de laine plutôt grossière, mais donnant d’excellente viande, vivant au dehors, dans les pâturages, la plus grande partie de l’année, et se contentant, dans les bergeries, pendant la mauvaise saison, d’un peu de grain et de fourrage sec ; l’autre, de taille moyenne, à laine excessivement longue, à viande estimée, habitant le versant sud des Pyrénées, s’accommodant nuit et jour, en toute saison, de la vie au grand air, et ne recevant pour ration, au moment des neiges, que des feuilles sèches et de la paille : toutes deux d’un tempérament énergique, d’un sang chaud et vivifiant, capables, si l’on sait en tirer parti, de produire des types d’animaux précoces qui ne le céderaient pas peut-être à ceux que l’on estime si justement chez les Anglais.

Voilà donc une série d’indications précieuses, que les éleveurs connaissent bien du reste, et que déjà, pour la plupart, ils ne négligent point de mettre à profit ; mais, s’il est des parties de la France où les reproducteurs étrangers ne trouveraient peut-être pas des conditions assez favorables et où il serait dangereux par exemple de vouloir remplacer le mérinos acclimaté par le southdown ou le dishley, n’oublions pas que la sélection nous reste, et que ce mérinos, qui n’est actuellement qu’un porteur de laine, est capable de devenir aussi un bon producteur de viande. Pourquoi la race mérine ne trouverait-elle pas en France ses Bakewell et ses Jonas Webb ? On peut signaler des expériences qui ont pleinement réussi. Un éleveur distingué, M. Lucien Rousseau, exposait récemment ce qu’il a fait lui-même. M. Rousseau, qui est d’ailleurs un partisan presque exclusif de la sélection, se demande pourquoi le mérinos, tel qu’on l’a fait, n’est point un animal de boucherie, et la raison qu’il en donne est très juste : c’est qu’on n’a demandé au mérinos que sa toison dans le temps où la laine était chère et la viande à bon marché. « Pour avoir beaucoup de laine, dit M. Rousseau, on entretenait dans les fermes plus de moutons que l’on n’en