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de rendre un financier intéressant et de placer dans la caverne de l’agiotage les péripéties d’un drame douloureux.

Mercadet, presque autant que Robert Macaire, nous représente le dessous de la société, la ténébreuse région où vivent à des étages différens les diverses espèces de la friponnerie. Si le théâtre prétendait avec ces deux pièces donner une idée du monde de l’argent sous le gouvernement de juillet, ce serait simplement une calomnie. Il y aurait une lacune dans l’arbre généalogique des financiers, qui ne se compose pas seulement de si basses branches. Un homme d’esprit, qui s’est fait autant remarquer par la souplesse facile du talent que par l’honorable ténacité de ses convictions politiques, M. Étienne Arago, vers la fin de ce régime, s’efforça de remplir cette lacune. Dans la comédie des Aristocraties, il fit en vers, souvent excellens une guerre assez vive à ces banquiers qu’il était convenu de regarder comme des puissances souveraines. À supposer que ces Turcarets de la politique fussent aussi redoutables qu’il voulait bien les faire, il dut reconnaître qu’ils étaient des seigneurs bien clémens, et qu’ils se laissaient attaquer d’assez bonne grâce. La censure théâtrale, dont on faisait alors grand bruit, laissait poliment passer des tirades éloquentes que la haute finance recevait en pleine poitrine. En revanche, elle interdisait, par zèle, pour la pudeur publique, des pièces telles que Robert Macaire et Mercadet, qu’en d’autres temps on eût laissé jouer : la morale était seule à réclamer.

S’il est permis de contester que les banquiers aient jamais tenu sous la clé de leur caisse les destinées de la nation, il est juste de dire que la paix, la prospérité générale, le progrès de la richesse, placèrent à côté des classes privilégiées d’autrefois une sorte d’aristocratie de l’argent. Dans cette mesure, M. Étienne Arago a raison ; encore faudrait-il rabattre un peu d’une faveur trop grande qu’il montre pour l’aristocratie impériale, et qui serait sans doute aujourd’hui de sa part l’objet de quelques corrections. Le banquier Verdier invitant chez lui ses électeurs et faisant espérer la main de sa fille à des comtes et à des barons est un portrait d’après nature. Comme père et comme homme, ses mouvemens ne sont pas toujours vrais ; un écrivain plus occupé de son art l’aurait fait quelquefois parler et agir d’une autre sorte. Comme financier ambitieux d’honneurs, c’est un rôle qui a sa place dans notre théâtre. Verdier flatte les conservateurs pour être député, les libéraux pour être conseiller municipal.


C’est clair… l’homme d’argent est de tous les partis.


Un emprunt qu’il souscrit en Allemagne lui vaudra un cordon jaune