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restauration virent les commencemens de cette folie, qui depuis n’a été coupée que par des momens trop rares de lucidité. Le théâtre, provoqué par de nouveaux ridicules, ne manqua point à l’appel : il produisit à cette occasion une comédie estimable, l’Agiotage, et un vaudeville amusant, les Actionnaires. Nous n’insisterons par sur ces deux ouvrages, qui n’offrent pas de types méritant un souvenir. Ils correspondent à un état des mœurs publiques, mais ils n’ont pas réussi à personnifier ces mœurs dans des figures vivantes. M. Empis ne fit que reproduire le cadre de la comédie de Picard, dont il s’assura d’ailleurs la collaboration. Son Durosay n’est qu’un Duhautcours affaibli, et l’on ne saisit pas de différence sensible entre son avocat Saint-Clair et le banquier Durville. Il fut mal inspiré de fournir à Picard ce que dans sa vieillesse celui-ci ne détestait pas, l’occasion de se répéter. Ce n’était pas la peine de refaire la pièce primitive du Dancourt de la république pour ne l’enrichir que de tirades et de leçons de morale. On s’aperçoit trop que M. Empis était un fonctionnaire de la maison du roi Charles X ; sa pièce est officiellement vertueuse et ennuyeuse. D’ailleurs autant le sujet de la banqueroute était vif et dramatique, autant celui de l’agiotage uniforme et connu d’avance d’un bout à l’autre. Rien n’est plus contraire à la comédie que ces vices ou ces manies qui sont également dans tous les personnages d’une pièce. Quel amusement peuvent promettre au spectateur neuf personnes qui n’ont d’autre soin que d’agioter en cachette les unes des autres ? Toute la maison de Saint-Clair joue à la Bourse comme le maître ; dans cette maladie commune, il n’y a de variété que le petit clerc qui joue au trente-et-un et la femme de chambre à la loterie.

La hiérarchie dramatique de 1829 n’existe plus, et peu importerait, à nos yeux, que les Actionnaires de Scribe fussent mêlés de couplets, s’il y avait dans cette œuvre une peinture morale ; mais nulle part l’auteur n’a plus donné au paradoxe et au tour de force. M. Piffart avec sa plaine des Sablons qu’il veut mettre en prairies par le moyen des puits artésiens, avec sa vente des bois de Bretagne qu’il substitue à cette première entreprise, séance tenante, devant les actionnaires qui refusent de se jeter dans les puits artésiens, M. Piffart est le plus drôle et le moins comique des charlatans. Il faut qu’un personnage croie en lui-même pour être comique. L’industriel de M. Scribe n’est même pas un voleur ; il se trouve à la fin que la vente des bois de Bretagne est une bonne affaire pour tout le monde. Le directeur, son secrétaire, son agent chargé d’allumer le crédit, font leur fortune, et les actionnaires qui ont été bernés pour l’ébaudissement du public touchent de beaux dividendes. L’auteur est content ; il a soutenu le contraire de ce qui semble