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exploitations rurales les plus intelligentes et les plus avancées. On peut dire que nous sommes à peu près au tiers du chemin ; le reste peut se parcourir assez vite.

En effet, pour employer un terme familier aux gens du métier, il y a peu d’animaux plus malléables que le mouton, et Dieu sait les métamorphoses qu’il a subies depuis le temps où le berger Abel offrait en sacrifice la graisse de ses agneaux. Sur quelque continent que l’on voyage, on trouvera partout le mouton, mais partout des troupeaux divers et profondément différens les uns des autres. Le climat, le milieu, les circonstances naturelles, contribuent assurément pour une bonne part à cette variabilité ; mais c’est l’homme surtout qui fait du mouton ce qu’il veut, qui le pétrit en quelque sorte et qui le façonne à son gré. Il emploie pour cela trois puissans moyens : la sélection, le croisement, le métissage. Nous n’avons pas à exposer ici avec détail des théories zootechniques depuis longtemps connues et acceptées. Rappelons seulement que ce qu’on nomme sélection, c’est le choix, fait dans un troupeau d’individus de même race, de reproducteurs présentant à un haut degré tel caractère, telle aptitude spéciale, qui se développeront davantage à chaque accouplement nouveau, et qui finiront par devenir les qualités maîtresses des animaux issus de ces accouplemens. Si l’on agit avec prudence, avec mesure, si l’on sait tenir compte des dangers et des avantages que présente à la fois la consanguinité, la sélection, la méthode d’in and in, comme disent les Anglais, donnera des résultats excellens. C’est ainsi que, dans les races bovines, Collins a créé les durham et Price les hereford, c’est ainsi que, dans les races ovines, Bakewell a fait les dishleys, Goord les new-kent, et Jonas Webb les southdowns. Quant au croisement et au métissage, plusieurs personnes les confondent, sans doute parce que les deux opérations commencent absolument de la même manière ; elles ont toutefois un but et des résultats divers. Le croisement tend à faire absorber peu à peu et complètement le type local par le type améliorateur. Ainsi M. Rieffel, à Grand-Jouan, a transformé par croisement, après quelques générations, en un beau troupeau southdown un maigre troupeau de la petite race des landes de Bretagne. Par le métissage au contraire, il s’agit de créer une sous-race qui participera, dans des proportions déterminées, des caractères du type amélioré et des caractères du type améliorateur. Tels sont nos métis-mérinos, telle est encore la sous-race de la Charmoise.

Tout le monde le sait, en fait de croisement et de métissage, en fait de sélection surtout, les Anglais sont nos maîtres. On a toujours vu chez eux beaucoup de troupeaux, et les auteurs romains en signalent l’existence au temps de la conquête. Il y a trois siècles,