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Ils se trompaient, hélas ! s’ils pensaient que les seuls périls viennent de l’ambition et des passions belliqueuses. La mauvaise politique peut amener les mêmes maux. Pour se borner aux luttes restreintes que la civilisation impose, la sagesse eût été nécessaire au pilote qui devait diriger seul nos destinées. Il fallait respecter le repos et l’indépendance des autres états ; il fallait éviter une politique de provocation et de menaces incessantes réveillant les nationalités sans les satisfaire, bouleversant l’équilibre de l’Europe, proclamant un droit nouveau sans en indiquer les bases ni les limites, fuyant le grand jour des débats publics, mettant nos soldats au service des plus basses intrigues, nouant des relations avec tous les ambitieux, substituant en un mot la corruption à la politique et les conspirations à la diplomatie. Une telle conduite longtemps pratiquée pouvait seule altérer la bonne foi de l’Europe, encore plus troublée que son équilibre. Il a fallu que toutes les fautes fussent commises à la fois pour que les remparts de Paris vissent le feu des lignes prussiennes. Si les hommes d’état de 1841 avaient eu cette vision sinistre, leur détermination prévoyante n’eût pas été plus résolue. Ils avaient l’intime conviction qu’ils servaient la France en consolidant sa politique extérieure.

Cette question, qui remue si profondément nos sentimens patriotiques, semblait en 1841, à la plupart des esprits, plus théorique que pratique. Le seul côté qui parût à tous également sensible était l’énormité de la dépense. Ce n’est point ici le lieu de débattre les questions de chiffre. Toutes graves qu’elles soient, ces discussions n’intéressent guère que les contemporains. Elles occupèrent une large place dans les discours. L’opposition assurait qu’on allait dépenser 500 millions ; selon les plus défians, un milliard ne devait pas suffire à l’entreprise ; en tout cas, un emprunt était nécessaire, et le devis me pouvait soutenir un examen sérieux.

La construction des fortifications fut remise aux mains les plus expérimentées. Le général Dode de la Brunerie, qui devait y trouver son bâton de maréchal, avait la haute direction des travaux que suivait avec un soin minutieux M. le duc d’Orléans. Le général Vaillant était chargé plus spécialement des détails de cette grande œuvre, qui doit faire, avec le siège de Rome, l’honneur de son nom. Parmi les officiers du génie associés à l’exécution de ce plan se trouvaient le commandant Niel et le commandant de Chabaud-la-Tour qui, après avoir dressé les premiers projets, devait avoir trente années plus tard l’insigne honneur de diriger la défense de ces remparts qu’il contribuait à élever. C’est sous cette impulsion aussi vigoureuse qu’intelligente que fat construite une série d’ouvrages qui fait l’admiration des hommes de guerre, et qui frappe le regard des moins compétens par la grandeur des lignes et la majesté de l’ensemble.