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peignée ; en 1862, l’on en comptait 1,300,000, et ce chiffre est maintenant largement dépassé. La peigneuse mécanique Heilmann-Schlumberger, qui donne à l’industrie une économie de 60 pour 100 sur la main-d’œuvre, a remplacé partout le peignage à la main, : délaissé comme moins parfait et plus coûteux. Ainsi qu’il arrive toujours lorsque l’outillage, devenu meilleur, permet de produire à meilleur marché, la fabrication augmenta soudain d’une manière énorme, inouïe. Justement à la même époque éclata la crise cotonnière, amenée par la guerre civile des États-Unis, et ce fut encore un motif pour les fabricans de redoubler d’ardeur dans la production des tissus de laine à bas prix. On fit des prodiges. Ce qui suivit pouvait facilement être prévu. L’on avait, sans mesure, jeté sur le marché des quantités de laines tissées bien plus considérables que ne l’exigeaient les besoins de la consommation. Un brusque temps d’arrêt survint. La loi élémentaire de tout négoce était violée, rééquilibre entre l’offre et la demande était rompu. Cependant le coton, ce rival dangereux, revenait sur le marché à des prix abordables. ; Au même moment, par une fâcheuse coïncidence, les États-Unis d’Amérique fermaient à nos laines manufacturées un de leurs meilleurs débouchés en les frappant d’un droit prohibitif de 85 pour 100. Ainsi, production exagérée dans la fabrication suivie d’une réaction toute naturelle dans la consommation, voilà l’une des plus graves circonstances dont nos éleveurs de moutons aient dû ressentir le contre-coup. Le perfectionnement de l’outillage a eu pour eux encore d’autres funestes résultats. On sait que la Plata, l’Uruguay, le Cap et l’Australie nous font depuis quelques années d’immenses envois de toisons ; mais ces laines, désignées sous le nom générique de laines coloniales, ont été longtemps dépréciées par une sorte de chardon, le gratteron, qui, en s’y mêlant, leur ôtait aux yeux du fabricant la plus grande partie de leur valeur. Or un récent progrès de l’industrie permet maintenant de les débarrasser du gratteron facilement et à peu de frais. Un autre progrès permet aussi d’utiliser pour le peigne, dans nos fabriques, des laines étrangères communes, au détriment des laines nationales, qui sont relativement fines. Il y a quelques années, on ne savait employer la tontine qu’à^ la confection d’une sorte de papier velouté ; aujourd’hui l’on en tire un parti meilleur, et l’on en fait un drap dont le public se contente. L’industrie de l’effilochage et celle des laines renaissance ont été encore une autre cause de dépréciation, puisqu’elles fournissent pour les tricots et pour les draps à bon marché des matières premières inconnues jusqu’ici. Enfin la mode même a changé. Autrefois les consommateurs aisés exigeaient des étoffes d’une grande finesse ; maintenant les étoffes épaisses leur plaisent autant, sinon