Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui pour des communes entières, c’est aussi la misère et la famine dans l’avenir.

En Lorraine, l’époque des semailles d’automne est arrivée. Avec quoi ensemencera-t-on les terres ? où est le grain qui serait nécessaire pour les semailles ? S’il reste un peu de grain, où est le fumier pour préparer le sol ? où sont les chevaux pour le cultiver ? Là où vivait naguère une population laborieuse de cultivateurs aisés, nous verrons cet hiver des troupes de mendians se disputer un peu de pain, des femmes avec leurs enfans dans les bras se traîner de village en village pour demander à chaque porte une aumône qu’on sera trop pauvre pour leur offrir ; ou bien le typhus, qui, dès le 9 septembre, se déclarait à Nancy dans les hôpitaux prussiens, aura passé par là et prévenu la faim.


II

De toutes les fautes, celle que la Lorraine pardonnera le moins au gouvernement impérial, c’est de l’avoir laissée désarmée en face de l’ennemi. Si elle avait été organisée en gardes nationales, si elle avait reçu des armes, comme le demandait si justement M. Picard à la plus aveugle des assemblées, quels efforts n’aurait pas faits cette population énergique pour défendre ses biens, ses champs, les fruits de son travail, le sol natal, l’indépendance ! Ce qu’elle aurait pu faire, on le voit bien par l’énergie du petit nombre de jeunes gens qui avaient reçu les armes et l’équipement de la garde mobile. Ceux-là sont à Toul, où depuis six semaines, dans une place de troisième ordre, ils résistent à tous les efforts de l’ennemi. Les militaires français estimaient que la ville ne tiendrait pas plus de deux jours. Elle tient encore aujourd’hui ; elle a même peu souffert. Sauf un faubourg incendié, les maisons de la place proprement dite n’ont pas été atteintes, et la garnison n’a perdu que très peu d’hommes. Chaque fois que les batteries ennemies essayaient de se mettre en position sur la côte Saint-Michel, qui domine la ville, l’artillerie de la garde mobile, admirablement dirigée par quelques habitans de Nancy, les démontait. Grâce à cette vigoureuse résistance, les communications de l’armée prussienne avec l’Alsace sont singulièrement ralenties et entravées. Les Allemands ont rétabli sans difficulté le chemin de fer de Wissembourg à Toul ; mais, arrivés à Toul depuis un mois, ils n’ont jamais pu dépasser ce point. Tous les trains qu’ils ont voulu diriger sur Paris ont été coupés ou détruits.

Excepté à ses deux extrémités, à Phalsbourg et à Toul, le département de la Meurthe, si éprouvé du reste, a du moins échappé aux plus cruelles horreurs de la guerre, aux combats sanglans ; dans