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usure, s’élevaient, pour ainsi dire, d’un coup d’aile à la possession des plus grands biens.

Il semble que l’exécution par le théâtre ait succédé à celle qui se faisait autrefois par la potence ou par les prisons d’état. En effet, le gouvernement de Louis XIV, en ce qui regarde les financiers, a commencé par le procès de Fouquet et fini par les moqueries de Regnard, de Dancourt, de Baron, surtout par le stigmate que Lesage a empreint au front de tous les fripons de haute volée. Ce n’est pas tout ; l’un et l’autre de ces châtimens semblent des faits inconnus aux autres nations. On ne trouve pas plus chez elles de surintendans envoyés à Montfoucon que de maltôtiers traduits sur la scène. Il y a dans les pays étrangers des ministres et des seigneurs envoyés à l’échafaud, mais c’est pour des accusations générales, des faits de haute trahison, des malversations de toute sorte. Leur histoire., si je ne me trompe, ne cite pas d’Enguerrands de Marigny abandonnés comme boucs émissaires à un peuple soulevé par l’excès des tributs, pas plus que leur théâtre n’offre de Turcarets pour amuser la colère du public appauvri par les contributions. N’est-il pas permis de croire que nos rois, trouvant commode d’escompter les subsides et de laisser le soin de les prélever à des gens qui, par amour du gain, embrassaient l’odieux métier de la maltôte, comptaient parmi les avantages de ce système d’abandonner ces hommes tour à tour à la fureur ou à la risée de leurs sujets ? Ils se servaient d’eux en les méprisant, et permettaient à la nation de les poursuivre de sa haine. Plus tard, on se contenta de leur faire rendre gorge, tout en s’amusant de leur triste mine, il y eut des chambres de justice pour leur arracher leur proie et les renvoyer honteux et dépouillés. « Pour comble d’infortune, dit Montesquieu dans une des Lettres persanes datée de 1717, il y a un ministre connu par son esprit, qui les honore de ses plaisanteries. ; on ne trouve pas tous les jours des ministres disposés à faire rire le peuple, et l’on doit savoir bon gré à celui-ci de l’avoir entrepris. » Plus tard encore, les traitans forcèrent la considération publique après avoir forcé, pour ainsi dire, les coffres de l’état : ils achetèrent des titres de noblesse, et, quand ils ne purent anoblir leur propre personne, ils donnèrent leurs filles aux héritiers des grands noms. Vers la fin du XVIIIe siècle, il n’y avait pas de famille illustre qui n’eût des financiers parmi ses alliances. C’est ainsi que les nobles engraissaient leurs terres épuisées. Les hommes d’argent qui avaient fourni le précieux fumier n’avaient plus à redouter alors un Montfaucon, ni les prisons d’état, ni les chambres de justice, ni le théâtre : ils étaient les amis du roi et des ministres.

On aidait sans preuve, je crois, que Colbert a empêché le théâtre d’oser s’attaquer aux financiers. Il n’avait pas besoin de publier un