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gardes, et de se couvrir des anciennes lignes que les ennemis avaient ouvertes autour de Bouchain, afin que, si le prince Eugène voulait les prendre à revers, il les trouvât placés et retranchés.

« Je revins aussitôt, dit Villars, à mon infanterie, qui était en bataille sur le chemin de Paris ; mais au moment que je la joignais, je vis l’armée ennemie qui courait sur l’Escaut en plusieurs colonnes. Le marquis d’Albergotti vint me proposer de faire des fascines pour combler les retranchemens de Denain. Eh ! croyez-vous, lui répondis-je en lui montrant l’armée ennemie, que ces messieurs nous en donneront le temps ? Les fascines seront les corps des premiers de nos gens qui tomberont dans le fossé. Il n’y avait pas un instant, pas une minute à perdre. Je fis marcher mon infanterie sur quatre lignes dans le plus bel ordre. Mon canon tirait de temps en temps, mais avec le peu d’effet d’une artillerie qui tire en marchant. Celle des ennemis faisait de fréquentes salves. Quand notre première ligne fut à cinquante pas des retranchemens, il en partit un très grand feu qui ne causa pas le moindre désordre dans nos troupes. Lorsqu’elles furent à vingt pas, le feu redoubla. Deux seuls bataillons firent un coude. Le reste marcha dans un ordre parfait, descendit dans le fossé, et emporta le retranchement avec une grande valeur. Il n’y eut de colonel tué que le marquis de Tourville, jeune homme d’une très grande espérance. J’entrai dans le retranchement à la tête des troupes, et je n’avais pas fait vingt pas que le duc d’Albemarle et six ou sept lieutenans-généraux de l’empereur se trouvèrent aux pieds de mon cheval. Je les priai d’excuser si les affaires présentes ne me permettaient pas toute la politesse que je leur devais, mais que la première était de pourvoir à la sûreté de leurs personnes. J’en chargeai des officiers de considération, et appelant le comté de Broglie : Comte, lui dis-je, marchez sur-le-champ à Marchiennes. Je poursuivis ensuite les ennemis, qui, dans leur surprise, ne songeaient qu’à fuir. Malheureusement pour eux leurs ponts sur l’Escaut se rompirent par la multitude des chariots, la précipitation des fuyards, et les vingt-quatre bataillons qui défendaient les retranchemens furent entièrement pris ou tués. La tête de l’année du prince Eugène arrivait déjà sur l’Escaut, près d’un pont qui n’était pas rompu. Il fit quelque tentative pour passer, et fit tuer 7 à 800 hommes assez inutilement, car, les troupes du roi bordant cette rivière, il n’était pas possible aux ennemis de la repasser devant elles. Le comte de Dhona et plusieurs officiers-généraux s’y noyèrent. Trois autres y furent tués. J’envoyai, le jour même, le marquis de Nangis porter cette agréable nouvelle au roi, dont l’inquiétude n’était pas médiocre, surtout augmentée par la terreur des courtisans. »