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hardiment sur Landrecies le jour même où fut publié l’armistice avec l’Angleterre (17 juillet), et prit sur le terrain une position qui semblait défier le maréchal de Villars à la bataille ; il se persuadait que si, par un nouveau fait d’armes comme celui du Quesnoy, il s’ouvrait l’entrée du royaume par la vallée de l’Oise, il terminerait la guerre avec avantage sans le secours des Anglais, et que peut-être même il ramènerait la reine Anne aux résolutions de 1709 et de 1710, en montrant à l’Angleterre, si divisée d’opinion, et à un cabinet chancelant la détresse où il croyait réduire la monarchie française.

Cette marche en avant du prince Eugène changea rapidement les rôles de chacun, et détermina la direction respective des deux armées qui étaient en présence depuis le commencement de la campagne, s’observant, s’épiant chaque jour, constamment en éveil sur les moindres mouvemens, concentrées sur un terrain peu étendu, s’abritant de la moindre défense naturelle, et presque toujours en ordre de bataille vis-à-vis l’une de l’autre. En se développant de l’Escaut vers Landrecies, le prince Eugène prolongeait sa ligne d’opération, mais il la protégeait encore par les rives de l’Écaillon et de la Selle, verticales à l’Escaut. Des sources de l’Écaillon jusqu’à la Sambre, ses colonnes, à l’abri de toute insulte, s’appuyaient sur une ligne retranchée parallèle à l’Écaillon, impossible à couper et touchant au camp de Denain, où un corps considérable de troupes, sous les ordres du comte d’Albemarle, assurait la communication du prince Eugène avec son dépôt de Marchiennes. La disposition était telle de la Scarpe à la Sambre, que, malgré l’étendue de neuf lieues sur lesquelles les forces ennemies se déployaient, elles semblaient garanties contre tout hasard, l’armée française paraissant exclusivement appliquée à faire un suprême effort pour défendre Landrecies, qui ouvrait la vallée de l’Oise, laquelle était le grand chemin de Paris. Eugène ne supposait pas une autre conduite ni une autre pensée à l’ennemi qu’il avait en tête.

Il présumait, ce qui était vrai, que Louis XIV ordonnerait à Villars de tout risquer pour venir au secours de Landrecies. Telles étaient en effet les instructions du maréchal. Aussi dès qu’il fut informé de l’investissement de Landrecies, c’est-à-dire le 17 juillet même, ce dernier concentra ses forces pour être prêt à tout, et sa correspondance avec le roi, devenue plus active, accusa plus d’inquiétude. Le 17 juillet, il avait son camp à Noyelles, sur la Censée, d’où l’on pouvait marcher droit sur Marchiennes et Denain, où bien passer l’Escaut en obliquant, pour venir, à la tête de la rivière de Selle, chercher l’armée du prince Eugène. Le 18 juillet, Villars convoqua un conseil de guerre pour recueillir les avis ; ce qui s’est passé dans ce conseil de guerre nous est révélé par un rapport