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partout également fertile. C’est beaucoup pour la population, qui s’élève à 3,500 âmes. Aussi les terres situées autour dès villages, sur le bord de la mer, sont-elles seules régulièrement cultivées. La population peut donc se développer à l’aise, sans redouter même les conséquences d’une émigration qui pourrait en tripler le chiffre, d’autant plus qu’aux ressources d’Uvea se joignent celles des îlots madréporiques, couronnés de cocotiers, et celles sans nombre de la mer, ou même, sans s’exposer au large, du vaste et tranquille bassin que les récifs forment autour d’Uvea.

Malgré les relations presque constantes que les Wallisiens entretiennent avec les Futuna, les Samoa, Tonga-Tabou et les Fidji, ces îles ont échappé jusqu’à ce jour à l’invasion des Européens, déjà si nombreux dans ce dernier archipel. Cela tient à diverses causes : leur fertilité, leurs richesses, ne peuvent être soupçonnées qu’autant qu’on pénètre dans les îles mêmes, et, outre qu’elles ne sont pas sur le courant direct de l’émigration australienne, dirigé des grandes colonies anglaises vers Taïti, la seule passe ouverte aux navires à voiles et conduisant aux mouillages intérieurs offre de sérieuses difficultés. Les vents alizés soufflent dans une direction presque toujours constante et directement opposée à celle de la passe. Plusieurs navires, entre autres la corvette française l’Embuscade, se sont échoués en la franchissant. Aussi les baleiniers n’ont fait que de rares apparitions dans, l’archipel, et encore en se tenant en dehors des récifs. Or l’on sait que c’est dans leurs équipages que se recrutait autrefois la grande masse des aventuriers qu’on rencontrait en Océanie. Néanmoins cinq Européens vivent à Uvea, ignorés depuis plus de trente ans. Avant même la conversion de la population au catholicisme, ils s’étaient établis au milieu d’elle. Ils se sont si bien identifiés avec son esprit et ses habitudes qu’il est difficile de les reconnaître, à moins que dans certaines circonstances exceptionnelles ils ne revêtent les étranges costumes européens qu’ils conservent comme un souvenir de leur jeunesse et de leur patrie. Bien que de nationalités différentes (on compte deux Anglais, un Portugais, un Français et un Allemand), ils sont tous catholiques et catholiques fervens. Presque tous d’ailleurs souffrent cruellement d’une maladie qui s’attaque aux Européens vivant de la vie des Indiens : l’éléphantiasis, qui semble une conséquence obligée du régime peu fortifiant, de la diète uniforme de ces populations. Le retour aux habitudes de la vie européenne suffit en effet pour faire disparaître le mal, ou tout au moins pour en arrêter le développement. Ainsi transformés au moral, rudement éprouvés par les souffrances physiques, usés par l’âge, ces hommes semblent être, dans la phase nouvelle que traversent la plupart de ces