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systématique auquel les missionnaires les condamnaient ? Si les chefs repoussèrent ces suppositions, elles furent certainement accueillies par quelques esprits plus intelligens, ou, si l’on veut, plus inquiets ; de là une certaine impatience bien naturelle, un certain élan vers une vie plus active, que révèlent des faits dont il est impossible de nier la signification. Je veux parler de tentatives pour fuir à Taïti sur des chaloupes à demi pontées. Ce sont là, des symptômes caractéristiques des nouvelles dispositions des esprits, ils n’ont pu échapper à la surveillance des missionnaires, qui sont bien loin d’ailleurs de les récuser ; mais peuvent-ils y satisfaire ? Ici se montre la plus grande des difficultés de leur situation exceptionnelle à tant d’égards, et cette difficulté n’est pas d’un ordre moral ou religieux ; elle est indépendante de toutes les idées particulières à des prêtres catholiques, et découle de ce qu’il y a de plus fatal et de plus matériel au monde : la constitution géologique, l’isolement géographique de l’archipel, deux causes auxquelles déjà nous avons attribué la dégénérescence, la mortalité de la population, et qui n’auront pas eu que ce seul effet déplorable sur l’avenir de ces îles, autrefois si heureuses.

Si les Gambiers pouvaient trouver soit dans les produits du sol, soit dans ceux d’une industrie quelconque, les élémens de cette vie activé que réclament les tendances nouvelles qui se manifestent dans l’esprit de leurs habitans, rien ne serait plus facile que de les satisfaire, et la prudence la plus vulgaire, à défaut de justice, l’imposerait aux missionnaires, véritables chefs de l’archipel. La population, émancipée d’une tutelle dont elle semble accuser la sévérité, se mêlerait davantage au mouvement général de ces sociétés modernes dont elle a déjà la foi religieuse, et, dans des conditions plus ou moins favorables, poursuivrait son développement intégral ; mais de tels élémens manquent à cette population, et nul intérêt réel n’appelle dans ces îles les étrangers, que le système actuel, prétend-on, repousse seul loin d’elles.

Les Gambiers ne sont en effet que des rochers stériles, produisant à peine, dans les vallées resserrées qui du pied de ces rochers s’étendent au rivage de la mer, les denrées nécessaires à la nourriture de la population. L’unique industrie est la pêche de la nacre et des huîtres perlières ; encore les revenus aléatoires en diminuent-ils chaque jour, et les produits ne suffisent pas même dans les circonstances les plus heureuses au chargement d’un seul navire. Dès lors espérer une immigration aux Gambiers, ou l’établissement qui la provoquerait, là comme partout, de nombreux négocians européens, ne serait-ce pas une rêverie chimérique ? Accuser de l’isolement auquel les condamne un état de choses fatal les missionnaires