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missionnaires catholiques, si l’on veut, mais avaient été d’abord édictées par le commandant en chef de nos établissemens océaniens. Ces restrictions n’en prouvent pas moins la défiance très légitime qu’inspirait à ce fonctionnaire éminent, qu’inspire en général le caractère de ceux de nos nationaux qu’on rencontre loin de France. Elles ont surtout en vue ces esprits indociles à toute règle, frondeurs, mécontens de tout, même quand leurs entreprises réussissent, toujours prêts, quand elles échouent, à rejeter sur d’autres la responsabilité de leurs échecs. Cela pouvait être vrai il y a trente ans, et s’il n’est que juste de reconnaître que depuis cette époque une telle appréciation ne saurait être générale, combien alors souffrait-elle d’exceptions ? Juste peut-être ce qu’il en fallait pour confirmer la règle. Quoi qu’il en soit, ceux de nos compatriotes qui s’établirent aux Gambiers semblent avoir appartenu à cette grande catégorie. Ils eurent le malheur de ne pas réussir, et ce fut par leurs seules fautes ; alors ils accusèrent, suivant leur coutume, le pays, hommes et choses, qui trompait leurs espérances. Ce pays était sous l’influence des missionnaires, et ils accusèrent les missionnaires. Ce fut leur avidité, le monopole commercial qu’ils exerçaient au profit de leur congrégation, qui avait nécessairement causé leur ruine. Les règles de la société dans laquelle ils étaient venus vivre, et qu’ils connaissaient d’avance, étaient celles d’une société religieuse ; elles imposaient un frein à leurs passions, ils attaquèrent violemment ces règles. Elles avaient le tort de vouloir empêcher, et les lois avaient celui de punir l’ivrognerie, la débauche, la séduction et l’adultère, et ils crièrent au fanatisme religieux, à l’intolérance monacale. Enfin les tribunaux du pays, dans lesquels ils s’étaient souvent assis comme juges, repoussèrent certaines de leurs prétentions spoliatrices, et après avoir accepté leur juridiction, ils en récusèrent les arrêts, en appelèrent aux tribunaux de Taïti, et crièrent plus fort que jamais à l’oppression et à la tyrannie.

Il était bien difficile que cette conduite des seuls Européens établis au milieu d’eux n’eût pas sur l’esprit des Magareviens une action dissolvante. Leurs croyances religieuses, leur foi sincère, n’en furent pas ébranlées, tout l’atteste ; mais leur confiance dans le système purement humain du gouvernement, mise à une aussi redoutable épreuve, n’en sortit peut-être pas intacte. Les cruelles maladies qui, vers cette époque, vinrent frapper la population, le trouble qu’elles jetèrent dans toutes les familles, ne laissèrent pas que de fortifier les doutes que leur suggéraient et la conduite et les paroles des Européens. Ces maladies, cette décadence de la population, succédant à tant d’espérances avortées, n’étaient-elles pas, comme le prétendaient ces derniers, les conséquences de l’isolement