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eux-mêmes peut-être, malgré de nombreuses défaillances, les véritables représentant du droit. La protection, la tutelle de l’un d’eux vaudrait mieux pour la prospérité réelle de ces îles, inséparable du progrès moral, que l’anarchie sans remède où elles sont plongées, — que l’exploitation de leurs richesses par quelques aventuriers sans aveu, quelques marchands cupides sous la main à peu près souveraine des missionnaires protestans.


III

Le 5 août 1869, le Flying-Cloud quittait le port d’Apia. Après deux jours d’une rapide traversée, le 7 au matin, nous reconnaissions l’île Uvea, de l’archipel des Wallis, et quelques heures après nous laissions tomber l’ancre dans le havre intérieur, au mouillage de Mata-utu, en face du village de ce nom, que la foi de la reine Amélie a changé en celui de Regina-Spei depuis qu’elle en a fait sa résidence habituelle.

« La force douce est grande, » a dit Goethe. Nulle part cette parole profonde ne s’est mieux vérifiée que dans l’archipel des Wallis ; nulle part elle n’a produit de plus rapides transformations dans les esprits qui en ont subi la salutaire influence. Elle résume l’histoire de ces îles et en forme l’intérêt ; elle explique l’état actuel de la population qui, à ce titre, nous offrira peut-être un sujet d’étude digne d’arrêter quelque temps notre attention. On sait comment la population des Wallis se convertit au catholicisme. Ce fut l’œuvre personnelle de Mgr d’Enos. L’histoire de cette conversion, telle qu’on la trouve dans les lettres des missionnaires ou dans les rapports des commandans de nos navires de guerre, semble, en plein XIXe siècle, une légende du moyen âge. Pour expliquer cette étonnante révolution, tous en effet ont recours à l’intervention de causes surnaturelles. En réalité, elle est l’œuvre de cette force toute-puissante, mais purement humaine, d’une volonté énergique réglée par la bonté, qui ne nous étonne que parce qu’elle est trop rare. Sur la trame uniforme de ces récits, deux figures se détachent distinctes à côté de celle de l’ardent apôtre qui en est le principal personnage. L’une est celle d’un jeune chef inquiet, mécontent, plein d’ambitions secrètes et mal contenues, voulant à tout prix les réaliser ; l’autre est celle d’une jeune fille, ou plutôt d’une enfant, douce, humble et patiente au dehors, mais au fond énergique et résolue, qu’émurent les souffrances du courageux missionnaire, et qui s’éprit pour lui d’une de ces affections que rien n’effraie, d’un de ces dévoûmens que rien ne lasse. Plus d’une fois, aux risques de sa propre vie, elle sauva les jours du vaillant