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les Samoa (Hamoa, navigateurs) ne se présentent pas aux regards avec les aspects tourmentés, mais si pittoresques, que Taïti, les Marquises, les Sandwich, doivent à leurs hautes montagnes, dont les sommets dentelés se perdent dans les nues, à leurs pitons aigus qu’on dirait taillés à coups de haches gigantesques, à leurs roches basaltiques, dont les sombres couleurs contrastent si vigoureusement avec la fraîche végétation des plaines qui s’étendent à leurs pieds et l’azur si éclatant des flots qui baignent leurs rivages. Aux Samoa, une chaîne de montagnes courant de l’est à l’ouest, et qui semble la chaîne dorsale de l’archipel, s’élève au contraire en pente douce et régulière par une série ininterrompue de plateaux étages jusqu’à une hauteur moyenne de 800 mètres, hauteur insignifiante devant l’altitude du Mauna-Roa (4,000 mètres), de la Grande-Havaï, et du Orohena (2,236 mètres), à Taïti, mais les profils de ces montagnes se dessinent si nets sur un ciel d’une limpidité transparente, tous les plans successifs de ces collines aux ligues mollement arrondies sont si bien fondus et se relient entre eux par des transitions si gracieuses, qu’on ne regrette pas ces effets heurtés, ces vives oppositions, ces contrastes puissans, justement admirés dans les autres archipels polynésiens. Des rivages, que défend comme une jetée avancée une ceinture de récifs sur lesquels l’Océan des tropiques brise ses flots bleus en longues nappes d’argent, jusqu’aux cimes les plus élevées, partout s’étale une végétation d’une puissance exceptionnelle qui couvre ces îles, surtout Opoulou, d’un immense tapis de verdure. Cette végétation d’ailleurs est si variée que toutes les nuances du vert, depuis le vert pâle des pandanus et le vert métallique des mangliers, dont les feuilles immobiles miroitent au soleil, jusqu’aux masses d’ombres presque noires que projettent aux flancs des collines des burao gigantesques, se mêlent sans se confondre, et produisent un ensemble harmonieux d’un calme profond, mais à travers lequel perce une animation singulière. Tableau unique, où tout est force et douceur, vie et repos, et dont il faut renoncer à rendre le charme incomparable, ainsi que les gracieuses splendeurs ! L’artiste le plus habile briserait sa palette devant cette mosaïque infinie de teintes si variées ; il s’avouerait vaincu par les innombrables détails du paysage, indispensables pourtant pour en faire comprendre la beauté harmonieuse et vivante. Jeux d’ombre et de lumière, reflets des eaux, chutes irisées de rivières bouillonnantes rayant d’un ruban d’argent ce fond d’émeraude, molles ondulations des grands palmiers que la brise agite, vol pressé d’oiseaux aux ailes de feu, broderies délicates et sans nombre, perles et diamans que la puissante nature tropicale semble avoir choisis dans son plus riche écrin et semés à profusion dans ces îles privilégiées, comme pour se surpasser dans un dernier