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tel de Ville, M. Henri Rochefort a montré du premier coup qu’il savait avoir le simple courage du bon sens dans le tumulte d’une révolution. M. Henri Rochefort a été un patriote avant d’être un républicain. La république elle-même d’ailleurs n’a plus rien d’extraordinaire dans l’état de la France. Depuis longtemps, les expériences coûteuses ont dû nous guérir de la passion de remettre sans cesse nos affaires entre les mains de ceux qui prétendent nous sauver. Que la république sauve le pays et qu’elle se fonde ! nous ne lui demandons qu’une chose, c’est d’être la liberté pour tous, la garantie du droit, le bien de tout le monde, non l’œuvre exclusive d’un parti.

Qu’on ne dispute donc plus sur des mots ; qu’on ne marchande pas aux hommes de l’Hôtel de Ville le droit qu’ils ont pris de se jeter sur le gouvernail dans la tempête. De quelque façon que la chose soit arrivée, ils sont au pouvoir, ils représentent la France devant l’ennemi qui s’approche d’heure en heure, devant l’Europe stupéfaite de ces terribles événemens qui se précipitent. Tout est là ; aujourd’hui il n’y a plus qu’un intérêt souverain, impérieux : repousser l’ennemi et faire face devant le monde. C’est là le double rôle que le gouvernement doit remplir dans son action intérieure comme dans son action extérieure. Sans doute, c’est une situation extrême et pleine de périls ; d’affreux malheurs sont arrivés, toute une partie de la France est livrée à l’invasion méthodiquement dévastatrice qui s’avance. Une de nos armées est détruite ou traînée en captivité au fond de l’Allemagne ; l’autre, malgré sa vaillance, n’a pu jusqu’ici rompre les lignes qui la tiennent enfermée sous le canon de Metz. Rien ne s’oppose à la marche de l’armée prussienne, qui est signalée de tous côtés autour de Paris ; mais c’est là justement la question : c’est à Paris que se concentre désormais la défense nationale, le salut de la France, et les chefs de l’invasion allemande se font une étrange illusion, s’ils croient avoir facilement raison de la grande cité armée pour son indépendance et pour l’inviolabilité de ses foyers.

Les Prussiens peuvent s’avancer, ils peuvent se promettre de nous cerner ou d’enlever nos remparts par quelque gigantesque effort, par une de ces surprises qui sont dans leur tactique ; ils trouveront une population tout entière qui les attend résolue, indignée, et qui leur prépare à son tour une de ces formidables surprises dont parlait l’autre jour le général Trochu dans une de ses proclamations. Paris approvisionné, armé, cuirassé, transformé en un immense camp tout hérissé de fer et de feu, Paris est tout prêt à se défendre, et puisque le roi Guillaume, dans l’ivresse de sa victoire, a voulu venir jusque sous nos murs, il saura ce que c’est que s’attaquer à une ville où palpite l’âme de la France, où sont concentrés tous les moyens de résistance et d’action. Ces quelques jours qui se sont écoulés depuis le 4 septembre n’ont point été perdus en effet. Plusieurs corps intacts de notre armée ont pu