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L’impulsion donnée aux services multiples de la Salpêtrière est à la fois très douce et très uniforme. Les améliorations opérées dans les aménagemens sont à l’abri de tout reproche, celles qui restent encore à faire dans diverses constructions trop vieilles, et dont il a fallu tirer parti, viendront successivement, au fur et à mesure des facilités que le budget de l’assistance pourra offrir. Dans un avenir prochain, les anciens dortoirs auront disparu, et les dispositions intérieures de l’hospice répondront au progrès que notre système hospitalier a su accomplir depuis 1849 ; mais, à moins de tout bouleverser de fond en comble, on ne pourra jamais donner à l’établissement entier une apparence régulière et monumentale. Construits sans plan déterminé, selon les besoins qui s’imposaient, au hasard de l’emplacement qu’on trouvait libre, les différens édifices ont été répandus çà et là d’une façon tout arbitraire. Seul le bâtiment qui fait face à l’entrée semble être le résultat d’une conception définie ; c’est celui où s’ouvre la chapelle, dont il faut parler, car elle joue un très grand rôle dans l’existence des pensionnaires de l’hospice. Elle est formée d’une rotonde à laquelle huit nefs aboutissent ; la direction a fort habilement profité de cette disposition pour isoler les unes des autres toutes les catégories de pensionnaires lorsqu’on les conduit à la messe. Les indigentes sont placées dans une travée, les épileptiques dans une autre, les idiotes dans une troisième, et ainsi de suite. Le personnel ecclésiastique est nombreux, les cérémonies sont très pompeuses, l’encens brûle à profusion, et les chants de l’orgue montent sous les voûtes sonores. Un personnage impassible et digne assiste aux services religieux avec une solennité peu commune ; c’est le suisse, qui n’est autre qu’un vieux bonhomme emprunté à Bicêtre. On le revêt, pour la circonstance, d’un uniforme galonné sur toutes les coutures, on le coiffe d’un chapeau à trois cornes, on lui applique des épaulettes en or, on lui passe autour du corps un large baudrier rouge passementé, et on lui met entre les mains une canne de tambour-major. Jamais général fantastique dans les bamboches des petits théâtres ne fut plus sérieux et plus comique. Il se sent admiré, se redresse, et fait valoir sa haute taille. Pénétré de l’importance de sa mission, il ne sourcille pas, et il ne laisse même pas tomber un regard sur les pauvres vieilles qui le contemplent avec ravissement lorsqu’il passe auprès d’elles dans ses splendeurs et sa sérénité. Parfois, souvent même, on fait des sermons aux femmes de la Salpêtrière. J’en ai écouté, et j’ai été surpris d’entendre qu’on leur parlait de l’enfer ; de peines éternelles et d’un Dieu vengeur. A quoi bon ces évocations redoutables ? Est-ce dans un tel lieu, dans la maison ouverte à la vieillesse, à la maladie, à l’infirmité incurable,