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qu’on peut voir en ce genre ; c’est un musée de serviettes et de sonnets de coton. Chaque catégorie de linge est pliée d’une façon particulière, par douzaine, et assemblée de manière à former un dessin spécial, de sorte que l’on peut reconnaître à première vue combien on possède de paires de draps, de bas ou de chemises. Ce n’est pas sans un certain orgueil que la surveillante chargée de ce service en montre les détails, qu’on ne se lasse pas d’admirer. C’est à Bicêtre que l’assistance publique a installé la vacherie dont elle tire le lait qui lui est nécessaire pour la consommation des hôpitaux et des enfans assistés. Le seul moyen que l’administration ait encore imaginé pour avoir du fait pur est d’entretenir des vaches et de les faire traire elle-même ; de cette façon, elle est du moins assurée de la sincérité des produits qu’elle envoie aux malades. L’étable est large, et nous y avons compté dix-huit beaux animaux, qui ruminaient couchés sur une haute litière.

Tels sont les différens services qui appartiennent ou sont rattachés à l’hospice de Bicêtre. Il serait peut-être à désirer que la maison fût exclusivement réservée aux indigens et aux infirmes, et qu’on en éloignât les épileptiques, les idiots et les fous, que nous voudrions voir enfermés dans des établissemens spéciaux ; les divisions qu’ils occupent, les vastes bâtimens où ils sont logés, donneraient des places enviées à tous les vieillards qui traînent dans nos rues, dans les garnis infects, une existence misérable, et que la préfecture ramasse pour les envoyer dans les dépôts de Saint-Denis et de Villers-Cotterets, mais qui par leur âge, par l’impossibilité où ils se trouvent de subvenir aux besoins les plus impérieux de la vie, semblent désignés pour obtenir un asile à l’hospice de la vieillesse. Cette confusion de l’indigence et de la maladie nerveuse, de la caducité et de l’insanité mentale, donne à Bicêtre, malgré ses très larges proportions et son aspect grandiose, un caractère pénible qui rappelle trop celui des maladreries du moyen âge, et qui semble une anomalie avec le progrès dont l’assistance publique a si souvent pris la généreuse initiative. Malheureusement cette confusion regrettable, nous allons la retrouver en étudiant la Salpêtrière.


II

Sur le boulevard de l’Hôpital, à côté de la gare du chemin de fer d’Orléans et presque en face du Jardin des Plantes, s’ouvre la grande porte de la Salpêtrière. Dès qu’on la franchit pour pénétrer dans la vaste cour divisée en quatre parterres inégaux et entourée d’arbres, dès qu’on a devant les yeux le désagréable dôme octogone de la chapelle, élevée en 1669, une image s’impose immédiatement à