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s’élèvent au-dessus des murs. Pour construire cette petite ville dans le plus beau site, le despote iduméen avait profané un ancien cimetière, au grand scandale des Israélites. Aussi les Juifs rigoristes considéraient-ils la ville comme païenne et souillée. Elle n’était guère habitée que par des étrangers, des hérodiens ou zélés partisans de la dynastie régnante, ou enfin par des personnes qui ne partageaient pas l’horreur nationale pour la violation et le contact même des tombeaux. C’est peut-être ce qui explique une circonstance assez singulière. Il est souvent parlé de Tibériade dans les Évangiles, mais il n’est jamais dit de Jésus qu’il y entra ou en sortit. Sans conclure de là qu’il n’y mit jamais les pieds, on peut comprendre que ce n’était pas là qu’il devait chercher ses compatriotes, auxquels il voulait s’adresser d’abord. Le fait d’une ville habitée à peu près exclusivement par les sectateurs de telle ou telle religion, mais évitée par d’autres, est encore commun en Orient.

Ce qui est plus étrange, c’est que l’on cherche en vain de nos jours le lieu que Jésus habitait, ce Capharnaüm (Kefr-Nahoum), village de Nahoum, dont il est tant de fois question dans les Évangiles. Les uns le retrouvent dans Tell-Houm (le tertre de Houm), et leurs motifs nous semblaient solides ; mais Khan-el-Miniyeh, où, nous avons fait une halte de quelques heures, près de la Fontaine du figuier (Aïr-et-Tin), a pour lui la tradition et l’autorité considérable du savant Robinson. Il serait difficile de se prononcer ; toutefois nous devons reproduire ici une remarque d’un autre savait, M. Stanley, qui nous a vivement frappé.

Tandis que les diverses églises, grecque, romaine ou arménienne, ont couvert de marbre et d’or les lieux où, selon elles, Jésus naquit et mourut, tandis que des pèlerins affluent depuis des siècles au berceau et au tombeau (réels ou présumés) du Sauveur, tandis que la possession et la délivrance de ces lieux saints ont occasionné de grandes guerres où tout l’Occident s’est précipité sur l’Orient à mainte (reprise, tandis que des rivalités des églises à cet égard sont loin d’avoir cessé, n’est-il pas au moins étrange qu’aucune d’elles, en aucun temps, ne se soit mise en peine de connaître la localisé où ce même Jésus a vécu habituellement ? Le monde religieux, courbé par les diverses orthodoxies devant le crucifix, absorbé par les miracles que célèbrent les diverses fêtes chrétiennes, a semblé oublier que ce Christ qu’il adorait avait vécu, parlé, enseigné, professé une religion où il s’agissait d’autre chose que de sa naissance ou de ce qui l’a précédée, de sa mort ou de ce qui l’a suivie. Il y a là une négligence naïve et universelle qu’il est utile de constater. C’est un symptôme de cette maladie trop générale des églises chrétiennes qui a consisté à s’occuper de glorifier le maître beaucoup plus que