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en Jésus : naïf et ravissant prophète en Galilée, martyr lugubre et presque fanatique à Jérusalem. C’est ici même, c’est en pleine Galilée, sur une des hauteurs qui entourent ce lac paisible, c’est dès le début et le premier mot de sa mission qu’il a glorifié les proscrits et les martyrs, flétri les violences des despotes spirituels. Dès le premier jour, ici même, il a fait vivement ressortir le contraste de sa religion à lui, sans dogme et sans sacerdoce, avec le mécanisme oppressif, le littéralisme tyrannique de la théocratie officielle. Il était trop libre et trop vivant, en harmonie trop intime avec le Dieu de la nature et de la charité pour ne pas être d’avance armé en guerre contre tous les pharisaïsmes.

Le lac de Génézareth et ses alentours ne sont plus, à bien des égards, ce qu’ils étaient au temps de Jésus. Alors, comme ou l’a fait observer, ce lac ressemblait beaucoup plus à celui de Côme, qui est entouré de maisons de plaisance et de palais habités par les Italiens riches et nombre d’étrangers. Les Hérodes y fuyaient en été la chaleur étouffante et l’aridité de Jérusalem y comme les césars oubliaient à Pouzzoles ou à Baïa l’ardent climat de Rome. Ces princes et leur cour s’étaient fait bâtir en plusieurs endroits des demeures élégantes. Hérode le Grand, qui était homme de goût, quoiqu’il fût un tyran soupçonneux et sans pitié, choisit admirablement le site de Tibériade, et donnait à la ville qu’il créait le nom du successeur d’Auguste. Bethsaïda (c’est-à-dire maison de pêche) devint Julias en l’honneur d’une princesse romaine de honteuse mémoire. Les pêcheries du lac, considérables dès le temps de Josué au dire des rabbins, ont à peu près cessé d’exister. Nous n’avons vu en vingt-quatre heures que trois petites voiles blanches sur ces eaux jadis sillonnées sans cesse par les barques des pêcheurs au milieu desquels Jésus-Christ vécut et choisit ses premiers disciples. Après notre ère, et pendant trois siècles, Tibériade devint le siège d’une célèbre école de théologie juive ; c’est de cette ville que sortirent d’énormes et minutieux travaux sur le texte hébreu de l’Ancien-Testament. Il y eut pour la cité à demi païenne d’Hérode une longue renommée d’orthodoxie légale et savante, ou du moins érudite. Beaucoup plus animé et peuplé que de nos jours, le paysage avait-il en ces temps reculés plus de charme que ne lui en prêtent aujourd’hui la solitude, le silence et la majesté des souvenirs toujours vivans ? On peut en douter.

La ville même de Tibériade est des plus pittoresques. Entourée comme en plein moyen âge d’une ceinture de murailles flanquées de nombreuses tours, elle est assise au bord de l’eau. Les vents, après avoir traversé le large espace, secouent les verts panaches et les régimes de dattes jaunes ou rouges de quelques palmiers qui