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Californie. On dit également que nul autre fleuve n’a un cours plus sinueux ; la ligne que suit le Jourdain est plus que triplée en longueur par des détours perpétuels. C’est parce qu’il a une pente trop forts que les bords du Jourdain sont si peu habités. Il n’a jamais baigné aucune ville, il baigne à peine quelques rares et chétifs hameaux. Il est cependant la grande, l’unique artère du pays juif ; les Arabes, avec l’enthousiasme que fait naître la soif, ne l’appellent que le grand abreuvoir (Cheriat-el-Kêbir). Après avoir traversé deux lacs (le Houléh et la mer de Tibériade), le Jourdain descend encore d’un millier de pieds, par vingt-sept rapides, jusqu’à la Mer-Morte, où il disparaît. Le doyen Stanley, après avoir signalé ce que le cours de ce fleuve a d’exceptionnel, pose une question tout à fait neuve. « Puisque, dit-il, la géographie de la Palestine est aussi spéciale et aussi singulière que son histoire, n’est-ce pas à tort qu’on se représente habituellement ces deux ordres de faits comme absolument étrangers l’un à l’autre ? »

Ce qui n’est pas contestable, c’est que la source réelle ou présumée d’un fleuve si précieux pour ses riverains devait être, dans l’antiquité païenne, entourée d’hommages divins et devenir l’objet d’un culte très important. Les Romains étaient trop superstitieux pour ne point se hâter de suivre à cet égard l’exemple des Grecs ; mais leur religion était dominée par d’autres préoccupations. Déjà chez eux la naïve adoration de la nature avait fait place aux flatteries les plus éhontées, aux apothéoses impériales, quand Hérode le Grand érigea sur ce même emplacement, consacré depuis tant de siècles, un beau temple de marbre blanc à César, c’est-à-dire à Auguste. Plus tard, un des fils d’Hérode, Philippe, tétrarque ou souverain de l’Iturée et de la Trachonite (aujourd’hui le Djeddour et le Ledja), changea le nom de l’antique cité. Il l’appela Césarée, en l’honneur de Tibère, et l’on prit l’habitude de dire Césarée de Philippe pour la distinguer de Césarée de Straton (aujourd’hui Kaisarieh, sur le bord de la Méditerranée). Il y avait concurrence de royales flatteries à la gloire des césars ; mais le nom de Banias ne tarda pas à reparaître ; l’hommage imposé au peuple par une adulation intéressée fut éphémère.

Césarée de Philippe est citée dans les Évangiles. C’est là, et le fait étonnera peut-être, que furent prononcées par Jésus les paroles fameuses, inscrites en lettres d’or sur la coupole de Saint-Pierre de Rome, qu’on chante au pape quand il entre dans la basilique porté sur la sedia gestatoria : tu es Petrus, et super petram hanc œdificabo ecclesiam meam. Si la papauté a pour origine ce mot du Christ, c’est à Banias qu’elle est née. Nous ne discuterons pas ici cette question fort ancienne sans doute, mais en même temps trop actuelle.