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sans charme, supporte avec peine les succès de société d’un rival qui, tout en lui étant fort inférieur peur les qualités solides, fait figure dans le monde, règle la mode et réussit par des dédains aristocratiques à empêcher les autres de se faire accepter.

La France de son côté portera au tribunal de l’histoire une grave responsabilité. Les journaux ont été superficiels, le parti militaire a été présomptueux et entêté, l’opposition, uniquement attentive à la recherche d’une fausse popularité, parlait sans cesse de la honte de Sadowa et de la nécessité d’une revanche ; mais le grand mal a été l’excès du pouvoir personnel. La conversion à la monarchie parlementaire affectée depuis un an était si peu sérieuse qu’un ministère tout entier, la chambre, le sénat, ont cédé presque sans résistance à une pensée personnelle du souverain que rien la veille ne semblait justifier.

Et maintenant qui fera la paix ?… La pire conséquence de la guerre, c’est de rendre impuissans ceux qui ne l’ont pas voulue, et d’ouvrir un cercle fatal où le bon sens est qualifié de lâcheté, parfois de trahison. Nous parlerons avec franchise. Une seule force au monde sera capable de réparer le mal que l’orgueil féodal, le patriotisme exagéré, l’excès du pouvoir personnel, le peu de développement du gouvernement parlementaire sur le continent, ont fait en cette circonstance à la civilisation.

Cette force, c’est l’Europe. L’Europe a un intérêt majeur à ce qu’aucune des deux nations ne soit ni trop victorieuse ni trop vaincue. La disparition de la France du nombre des grandes puissances serait la fin de l’équilibre européen. J’ose dire que l’Angleterre en particulier sentirait, le jour où un tel événement viendrait à se produire, les conditions de son existence toutes changées. La France est une des conditions de la prospérité de l’Angleterre. L’Angleterre, selon la grande loi qui veut que la race primitive d’un pays prenne à la longue le dessus sur toutes les invasions, devient chaque jour plus celtique et moins germanique ; dans la grande lutte des races, elle est avec nous, l’alliance de la France et de l’Angleterre est fondée pour des siècles. Que l’Angleterre porte sa pensée du côté des États-Unis, de Constantinople, de l’Inde ; elle verra qu’elle a besoin de la France et d’une France forte.

Il ne faut pas s’y tromper en effet ; une France faible et humiliée ne saurait exister. Que la France perde l’Alsace et la Lorraine, et la France n’est plus. L’édifice est si compacte que l’enlèvement d’une ou deux grosses pierres le ferait crouler. L’histoire naturelle nous apprend que l’animal dont l’organisation est très centralisée ne souffre pas l’amputation d’un membre important ; on voit souvent un homme à qui l’on coupe une jambe mourir de phthisie ; de