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personne ne nous eût ; attaqués, ou que, si quelqu’un avait pris contre nous l’offensive, nous eussions été défendus par la sympathie de toute l’Europe. — Quoi qu’il en soit, on ne prit aucun parti : une indécision déplorable paralysa la plume de l’empereur Napoléon III, et Sadowa arriva sans que rien eût été convenu pour le lendemain. Cette bataille, qui, si l’on avait suivi une politique consistante, aurait pu être une victoire pour la France, devint ainsi une défaite, et huit jours après le gouvernement français prenait le deuil de l’événement auquel il avait plus que personne contribué.

À ce moment d’ailleurs entrèrent en scène deux élémens qui n’avaient eu aucune part aux conversations de Biarritz, l’opinion française et l’opinion prussienne exaltée. M. de Bismarck n’est pas la Prusse ; en dehors de lui existe un parti fanatique, absolu, tout d’une pièce, avec lequel il doit compter. M. de Bismarck par sa naissance appartient à ce parti ; mais il n’en a pas les préjugés. Pour se rendre maître de l’esprit du roi, faire taire ses scrupules et dominer les conseils étroits qui l’entourent, M. de Bismarck est obligé à des sacrifices. Après la victoire de Sadowa, le parti fanatique se trouva plus puissant que jamais ; toute transaction devint impossible. Ce qui arrivait à l’empereur Napoléon III arrivera, je le crains, à plusieurs de ceux qui auront des relations avec la Prusse. Cet esprit intraitable, cette roideur de caractère, cette fierté exagérée, seront la source de beaucoup de difficultés. — En France, l’empereur Napoléon III fut également débordé par l’opinion. L’opposition fut cette fois, ce qu’elle est trop souvent, superficielle et déclamatoire. Il était facile de montrer que la conduite du gouvernement avait été pleine d’imprévoyance et de tergiversations. Il est clair qu’à l’époque des ouvertures de M. de Bismarck il eût fallu ou refuser de l’écouter ou avoir un plan de conduite qu’on pût appuyer d’une bonne armée sur le Rhin ; mais ce n’était pas là une raison pour soutenir que la France avait été vaincue à Sadowa, ni surtout pour établir en doctrine que la frontière de la France devait être garnie de petits états faibles, ennemis les uns des autres. Pouvait-on inventer un moyen plus efficace pour leur persuader d’être unis et forts ?

Le règlement de la question du Luxembourg mit cette situation funeste dans tout son jour. Rien n’avait été convenu avant Sadowa entre la France et la Prusse : la Prusse n’éluda donc aucun engagement en refusant toute concession ; mais, si la modération avait été dans le caractère de la cour de Berlin, comment ne lui eût-elle pas conseillé de tenir compte de l’émotion de la France, de ne pas pousser son droit et ses avantages à l’extrême ? Le Luxembourg est un pays insignifiant, tout à fait hybride, ni allemand ni français, ou,