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en 1815 par des préoccupations militaires, la France n’a donc pas un pouce de terre à désirer. L’Angleterre et l’Ecosse n’ont en surface que les deux cinquièmes de la France, et pourtant l’Angleterre est-elle obligée de songer à des conquêtes territoriales pour être grande ?

Le sort de l’année 1858 fut, en cette question comme en toutes les autres, de soulever des problèmes qu’elle ne put résoudre, et qui reçurent au bout d’un ou deux ans des solutions diamétralement opposées à celles que voulurent les partis alors dominans. La question de l’unité allemande fut posée avec éclat- ; selon la mode du temps, on crut tout arranger par une assemblée constituante. Ces efforts aboutirent à un éclatant échec. Pendant dix ans, les problèmes sommeillèrent, le patriotisme allemand sembla porter le deuil ; mais déjà un homme disait à ceux qui voulaient l’écouter : « Ces problèmes ne se résolvent pas comme vous croyez, par la libre adhésion des peuples ; ils se résolvent par le fer et le feu. »

L’empereur Napoléon III rompît la glace par la guerre d’Italie, ou plutôt par la conclusion de cette guerre, qui fut l’annexion à la France de la Savoie et de Nice. La première de ces deux annexions était assez naturelle ; de tous les pays de langue française non réunis à la France, la Savoie était le seul qui pût sans inconvénient nous être dévolu ; depuis que le duc de Savoie était devenu roi d’Italie, une telle dévolution était presque dans la force des choses. Et cependant cette annexion eut bien plus d’inconvéniens que d’avantages. Elle interdit à la France ce qui fait sa vraie force, le droit d’alléguer une politique désintéressée et uniquement inspirée par l’amour des principes ; elle donna une idée exagérée des plans d’agrandissement de l’empereur Napoléon III, mécontenta l’Angleterre, éveilla les soupçons de l’Europe, provoqua les hardies initiatives de M. de Bismarck.

Il est clair que, s’il y eut jamais un mouvement légitime en histoire, c’est celui qui, depuis soixante ans, porte l’Allemagne à se former en une seule nationalité. Si quelqu’un en tout cas a le droit de s’en plaindre, ce n’est pas la France, puisque l’Allemagne n’a obéi à cette tendance qu’à notre exemple, et pour résister à l’oppression que la France fit peser sur elle au XVIIe siècle et sous l’empire. La France, ayant renoncé au principe de la légitimité, qui ne voyait dans telle ou telle agglomération de provinces en royaume ou en empire que la conséquence des mariages, des héritages, des conquêtes d’une dynastie, ne peut connaître qu’un seul principe de délimitation en géographie politique, je veux dire le principe des nationalités, impliquant la libre volonté des peuples de vivre ensemble, prouvée par des faits sérieux et efficaces. Pourquoi refuser