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XIXe siècle pourra voir, s’il n’y prend garde, la contre-partie, par suite de la triste loi qui condamne les choses humaines à entrer dans la voie de la décadence et de la destruction dès qu’elles sont achevées.

L’idée de former une nationalité compacte ; n’avait jamais été, jusqu’à la révolution française, l’idée de l’Allemagne. Cette grande race allemande porte bien plus loin que la France le goût des indépendances provinciales ; la chance de guerres que nous appellerions civiles entre des parties de la même famille nationale ne l’effraie pas. Elle ne veut pas de l’unité ; pour elle-même, elle la veut uniquement par crainte de l’étranger ; elle tient par-dessus tout à la liberté de ses divisions intérieures. Ce fut là ce qui lui permit de faire la plus belle chose des temps modernes, la réforme luthérienne, chose, selon nous, supérieure à la philosophie et à la révolution, œuvres de la France, et qui me le cède qu’à la renaissance, œuvre de l’Italie ; mais on a toujours les défauts de ses qualités. Depuis la chute des Hohenstaufen, la politique générale de l’Allemagne fut indécise, faible., empreinte d’une sorte de gaucherie ; à la suite de la guerre de trente ans, la conscience d’une patrie allemande existe à peine. La royauté française abusa de ce pitoyable état politique d’une grande race. Elle fit ce qu’elle n’avait jamais fait, elle sortit de son programme, qui était de ne s’assimiler que des pays de langue française ; elle s’empara de l’Alsace. Le temps a légitimé cette conquête, puisque l’Alsace a pris ensuite une part si brillante aux grandes œuvres communes de la France.

La révolution française fut, à vrai dire, le fait générateur de l’idée de l’unité allemande. La révolution répondait en un sens au vœu des meilleurs esprits de l’Allemagne ; mais ils s’en dégoûtèrent vite. L’Allemagne resta légitimiste et féodale ; sa conduite ne fut qu’une série d’hésitations, de malentendus, de fautes. La conduite de la France fut d’une suprême inconséquence. Elle qui élevait dans le monde le drapeau du droit national viola, dans l’ivresse de ses victoires, toutes les nationalités. L’Allemagne fut foulée aux pieds des chevaux ; le génie allemand, qui se développait alors d’une façon si merveilleuse, fut méconnu ; sa valeur sérieuse ne fut pas comprise des esprits bornés qui formaient l’élite intellectuelle du temps de l’empire ; la conduite de Napoléon à l’égard des pays germaniques fut un tissu d’étourderies. Ce grandi capitaine, cet éminent organisateur, était d&nué des principes les plus élémentaires en fait de politique extérieure. Son idée d’une domination universelle de la France était folle, puisqu’il est bien établi que toute tentative d’hégémonie d’une nation européenne provoque, par une réaction nécessaire, une coalition de tous les autres états, coalition dont