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parlons ici que du règlement de compte qui interviendra un jour pour le bien du "monde entre les deux grandes nations de l’Europe centrale. Pour se former une idée à cet égard, il faut d’abord bien connaître de quelle façon l’Allemagne est arrivée à concevoir l’idée de sa propre nationalité.


I

La loi du développement historique de l’Allemagne ne ressemble en rien à celle de la France ; la destinée de l’Allemagne au contraire est à beaucoup d’égards semblable à celle de l’Italie. Fondatrice du vieil empire romain, dépositaire jalouse de ses traditions, l’Italie n’a jamais pu devenir une nation comme les autres. Succédant à l’empire romain, fondatrice du nouvel empire carlovingien, se prétendant dépositaire d’un pouvoir universel, d’un droit plus que national, l’Allemagne était arrivée jusqu’à ces dernières années sans être un peuple. L’empire romain et la papauté, qui en fut la suite, avaient perdu l’Italie. L’empire carlovingien faillit perdre l’Allemagne. L’empereur germanique ne fut pas plus capable de faire l’unité de la nation allemande que le pape de faire celle de l’Italie. On n’est maître chez soi que quand on n’a aucune prétention à régner hors de chez soi. Tout pays qui arrive à exercer une primauté politique, intellectuelles religieuse, sur les autres peuples, l’expie par la perte de son existence nationale durant des siècles.

Il n’en fut pas de même de la France. Dès le Xe siècle, la France se retire bien nettement de l’empire. Les deux joyaux du monde occidental, la couronne impériale et la tiare papale, elle les perd pour son bonheur. A partir de la mort de Charles le Gros, l’empire devient exclusivement l’apanage des Allemands ; aucun roi de France n’est plus empereur d’Occident. D’autre part, la papauté devient la propriété de l’Italie. La Francia, telle que l’avait faite le traité de Verdun, est privilégiée justement à cause de ce qui lui manque : elle n’a ni l’empire, ni la papauté, les deux choses universelles qui troublent perpétuellement le pays qui les possède, dans l’œuvre de sa concrétion intime. Dès le Xe siècle, la Francia est toute nationale, et en effet dans la seconde moitié de ce siècle elle substitue au Carlovingien, lourd Allemand qui la défend mal, une famille encore germanique sans doute, mais bien réellement mariée avec le sol, la famille des ducs de France, qui a un domaine propre, et non pas seulement, comme les Carlovingiens, un titre abstrait. Dès lors commence autour de Paris cette admirable marche du développement national, qui aboutit à Louis XIV, à la révolution, et dont le