et traité comme son meilleur ami. Elle s’était toujours dit que, si elle se décidait au mariage, ce serait en faveur de lui seul. Il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’elle eût accepté son nom ; mais elle n’avait accepté que cela, elle tenait à le faire savoir. Elle répéta ce thème sous toutes les formes à trois cents personnes au moins dans l’espace d’une semaine, et, quand elle se trouva suffisamment bien posée, elle me dit : — En voilà assez, je n’en puis plus. Toute l’Europe sait maintenant pourquoi je suis marquise de Rivonnière. Il n’y a que moi qui ne le sache plus.
Je la comprenais à demi-mot, mais je feignais de ne plus la comprendre. Je savais bien pourquoi elle avait consenti à ce mariage. Elle ne comptait pas sur celui de Paul, elle voulait le rassurer, le ramener par la confiance et l’amitié. Elle avait calculé que six mois au plus suffiraient à lui rendre sa liberté et à lui faire conquérir l’amour. Elle avait tout préparé pour éloigner Paul de Marguerite en feignant de vouloir l’unir à elle. Paul avait haï la femme qui s’offrait ; il s’éprendrait de celle qui se refusait jusqu’à lui en vanter une autre. Elle avait réussi à détruire sa méfiance, mais non à empêcher son mariage, et elle n’avait plus d’autre partie à jouer que de paraître charmée du prix auquel elle avait obtenu ce résultat.
Mais que ce prix était cruel, et comme elle le maudissait sous son air royalement ferme ! J’admirai sa force, car moi seule pus surprendre ses momens de désespoir et ses larmes cachées. Son père ne se douta de rien. Il ne pouvait rien empêcher, rien racheter ; il était désormais inutile de rien lui dire. Le reste de la famille se réjouissait de la haute position acquise par Césarine, et Helmina donnait vingt ordres inutiles par jour pour avoir la joie de dire : Prévenez Mme la marquise. Ses jeunes cousines Dietrich partageaient un peu cette vanité. L’aînée était mariée, la cadette fiancée ; la petite Irma disait : Mes sœurs épousent des bourgeois. Elles sont furieuses !
Moi, je veux un noble, ou je ne me marierai pas.
Bertrand ne disait absolument rien. Il savait trop son monde ; mais quand Césarine, après avoir annoncé qu’elle avait faim, repoussait son assiette sans y toucher, ou quand, après avoir commandé gaîment une promenade, elle donnait d’un air abattu l’ordre de dételer, il me regardait, et ses yeux froids me disaient : — Vous auriez dû faire sa volonté ; elle mourra pour avoir fait celle des autres.
George Sand.
(La quatrième partie au prochain n°.)