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donc pu que nous grandir aux yeux de l’Europe en nous faisant déployer des ressources et des qualités cachées que nous-mêmes ne soupçonnions point.

Cependant quelques louanges que méritent cet héroïsme et cette ténacité du peuple français, il est d’autres facultés qui ont leur rôle dans les relations internationales, et qui, même dans la guerre tiennent une place importante. La confiance en soi est un puissant, ressort, mais il ne faut pas le tendre à l’excès. Il n’est pas bon qu’une nation s’endorme dans l’admiration de sa propre grandeur. Au précepte de la philosophie antique : connais-toi toi-même, il importe d’unir cette maxime, non moins exacte ni moins utile de la sagesse moderne : observe, connais et apprécie l’on prochain. Nous ne sommes plus au temps où le monde se divisait en deux parts inégales : un peuple civilisé et des hordes barbares. Aujourd’hui, toutes les contrées qui se touchent et se fréquentent appartiennent à la même civilisation et possèdent des ressources communes. Il n’en est pas une qui ne puisse utilement étudier les autres et leur faire de nombreux emprunts. Il n’en est pas une non plus qui ait une supériorité tellement complète qu’elle ne trouve rien à emprunter aux autres.

Une nation n’est pas seulement une collection d’individus : c’est un être organisé. Plus cette organisation est forte et en même temps progressive, plus le peuplé qui la possède a de facultés et de ressources. Malheureusement l’administration française, qui a d’incontestables qualités, a toujours eu un extrême penchant pour la routine. On trouverait difficilement en Europe des institutions aussi immobiles et un personnel aussi inerte. Nos bureaux ont pour eux-mêmes une idolâtrie périlleuse : pleins à la fois de scrupules et de lenteurs, rivés aux vieilles méthodes, aux règlemens séculaires, ils sont continuellement en défiance contre toute innovation et toute initiative. Ne connaissant rien des peuples étrangers, ils sont incapables de s’approprier tous les progrès qui se font autour de nous : par un aveuglement qui s’allie à l’obstination, ils s’imaginent que toutes nos coutumes, tous nos usages, font l’objet de l’admiration et de l’envie de l’Europe. Il était temps qu’une violente secousse nous tirât de ce sommeil, et, si pénible qu’ait été ce réveil en sursaut, il peut être considéré à un point de vue général comme un bienfait. Si nous pouvons acquérir, au prix de ces quelques échecs passés, la clairvoyance, l’initiative, l’esprit d’émulation et de progrès, qui ont toujours manqué à nos administrations françaises, nous devrons considérer comme un avertissement heureux cette humiliation passagère, déjà réparée. Nous avons vécu jusqu’à ce jour ignorans, insoucians, dédaigneux des langues, des mœurs, des