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nous aura donnés cette guerre : nous devrons nous garder de compromettre notre incontestable supériorité par un excès de confiance ou de routine, il nous faudra faire plus de cas de l’étranger, étudier davantage ses méthodes et nous les approprier mieux, vivre moins repliés sur nous-mêmes, ouvrir notre esprit à toutes les recherches, nos institutions à tous les progrès, nos mœurs à toutes les réformes. C’est à ce prix que nous sauvegarderons définitivement notre grandeur et notre gloire, de même que nous aurons sauvé et accru sur les champs de bataille l’honneur de nos armes.

Nous avons signalé en faveur de la France deux inégalités incontestables : l’une dans la position géographique, l’autre dans le degré de richesse. De ces deux avantages, l’un ne pourra jamais nous être enlevé, et nous saurons conserver l’autre. Nous avons au cœur de l’Europe une situation vraiment exceptionnelle. Quant à notre richesse, elle n’est pas un médiocre élément de succès dans les entreprises de longue durée : elle serait appelée à jouer un rôle important dans toute guerre qui se prolongerait.

Mais pour bien connaître la puissance d’une nation, il ne suffit pas d’en examiner les ressources physiques ; il y a des forces morales et intellectuelles qui jouent, même à la guerre, un rôle prédominant. Des esprits qui se croient positifs ont l’habitude de railler ces agens immatériels, subtils et cachés : ils affectent de n’attacher de prix qu’aux gros bataillons. L’histoire entière montre la fausseté de cette opinion. Quand deux peuples sont en présence sur les champs de bataille, ce n’est ni la fortune, ni la seule violence qui décide leurs destinées. Le caractère et l’éducation nationale tiennent une grande place dans ces prétendus jeux de la force. Les Français ont des qualités uniques qui ont fixé depuis bien des siècles en leur faveur le sort des combats. Un amour intense de la patrie, qui est devenu pour eux une sorte de religion, un admirable esprit de sacrifice, un merveilleux élan au milieu des plus dures privations et des plus pressans périls, tels sont les dons précieux qu’on ne rencontre nulle part au même degré que dans notre pays. Tous les peuples savent être braves, mais beaucoup le sont avec résignation ; les Français sont braves avec emportement. La guerre qui se poursuit aujourd’hui et qui a été inaugurée par des échecs si peu prévus aura mis au jour l’un des côtés jusqu’ici les moins saillans et les plus méconnus de notre vitalité nationale. Nous aurons donné au monde le spectacle d’un peuple, habitué à vaincre au premier choc, et qui cependant, après des infortunes d’autant plus pénibles qu’elles étaient plus nouvelles, ne perd pas un moment possession de lui-même, se recueille sous les périls les plus imminens, et oppose à l’ennemi une calme et indomptable énergie. La lutte actuelle n’aura