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plus grandes, mais elles sont relativement plus légères, parce que notre pays est plus riche, plus productif, plus industrieux. Si l’on répartit la totalité des impôts par tête d’habitans, en supposant que chacun apportât un égal contingent aux contributions publiques, on trouve que chaque français paie au fisc 52 francs 37 centimes, chaque Allemand du nord 34 francs 96 centimes, chaque Bavarois 38 francs 12 centimes, chaque Badois 50 francs ; mais il ne faut pas se contenter de ces nombres bruts, qui exprimeraient d’une manière inexacte la situation vraie des contribuables des différens pays. En France, l’état pourvoit largement à différens services qui incombent en Allemagne aux particuliers, aux corporations, aux communes ou aux provinces. En outre, il s’est constitué fabricant pour divers produits, le tabac par exemple, et les frais de fabrication, qui se trouvent rémunérés amplement par la vente, viennent cependant grossir artificiellement le budget des dépenses. Enfin il est des impôts qui n’apportent d’autant plus que le pays progresse davantage ; les droits qui pèsent sur les consommations ou sur les transactions et les échanges ont un rendement d’autant plus élevé que le mouvement commercial s’accélère : le peuple qui paie le plus en pareille matière n’est pas celui qui est le plus grevé, mais bien celui qui est le plus laborieux et le plus prospère. C’est ainsi que nous pouvons porter légèrement un budget de 1 milliard 900 millions environ, déduction faite des dépenses départementales et communales, tandis que l’Allemagne du nord est écrasée par un budget inférieur à un milliard. Nous avons en effet des ressorts financiers bien plus souples que ceux sur lesquels peut compter la Prusse. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le budget des recettes des deux puissances pour s’en convaincre. Le produit des domaines constitue 44 pour 100 des recettes prussiennes, il ne forme que 5 et demi pour 100 des recettes françaises. Or c’est là un revenu qui ne peut s’accroître, tous les efforts pour en tirer un plus grand parti sont superflus. Tout au plus la Prusse pourrait-elle vendre ces immenses possessions de l’état, et peut-être y sera-t-elle contrainte par la nécessité de fournir aux frais de la guerre actuelle ; mais une pareille opération dans un pays comme l’Allemagne serait désastreuse. Dans les conditions économiques et agricoles de cette contrée, il serait nuisible aux intérêts de tous que le domaine public, composé en grande partie de forêts, fut morcelé entre les mains des particuliers ; ce serait en outre presque impraticable. On sait ce que produisent ces ventes en masse de propriétés énormes. L’Italie nous l’a prouvé dernièrement avec ses biens ecclésiastiques. Ce serait pis encore en Prusse, après une grande guerre, dans un pays où la classe agricole moyenne n’existe pas, où l’aristocratie est appauvrie