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Les contrebandiers, poursuivis sur mer par des forces supérieures, essayèrent alors de faire passer leurs marchandises par la voie de terre. Les états insurgés n’avaient qu’une frontière de terre, celle qui sépare le Texas du Mexique. Le Rio-Grande, qui forme la limite, est large à son embouchure, mais il a si peu d’eau qu’il est inaccessible aux grands bâtimens. A quarante lieues de la mer, sur la rive mexicaine, se trouve la ville de Matamoros, et en face, sur la rive du Texas, la ville de Brownsville. La marine fédérale ne pouvait avoir la prétention de bloquer Matamoros, qui appartenait à une puissance neutre. L’entrée de Rio-Grande était donc libre. Le trafic des marchandises qui empruntaient cette voie était en outre surchargé de frais de transport considérables. Il fallait décharger les navires sur des alléges à l’embouchure du Rio-Grande, remorquer ces bâtimens légers jusqu’à Matamoros, opérer le transit de Matamoros à Brownsville, et enfin les ramener à travers les plaines du Texas, où il n’y a ni chemin de fer, ni même de routes. Néanmoins le commerce : de Matamoros s’accrut dans des proportions considérables pendant la guerre de sécession. Ce furent les ports du nord de l’Amérique qui y contribuèrent le plus ; New-York seul envoya 59 navires à Matamoros. du mois de novembre 1862 au mois de février 1863. Que ce commerce fût fait en violation du blocus, c’était de toute évidence ; cependant il n’y avait aucune preuve, directe qu’il fût illicite, puisque tout se passait entre l’Angleterre et le Mexique, deux puissances neutres, ou même entre les états du nord et le Mexique. Les croiseurs fédéraux arrêtèrent quelques navires à l’entrée de Rio-Grande ; le tribunal maritime les fit relâcher, si ce n’est lorsqu’ils portaient des objets qualifiés contrebande de guerre.

Ce qu’il y a de plus mémorable assurément dans cette histoire du blocus des états du sud, c’est la lutte incessante entre la guerre et le commerce. On n’en avait jamais vu d’exemple aussi significatif, car autrefois les relations internationales étaient bien restreintes, et pendant la grande et longue guerre de 1854 et 1855 il ne s’agissait que de la Russie, dont le commerce extérieur est secondaire. En Amérique au contraire, les nations les plus commerçantes du globe étaient intéressées dans le conflit. Or n’éprouve-t-on pas une certaine satisfaction à voir que l’esprit guerrier, malgré la brutalité du moyen qu’il emploie, n’a pas le dernier mot ? Quoi que fassent les belligérans, l’esprit mercantile sait profiter de leurs fautes, et en somme il n’intervient que pour amortir les maux de la guerre.

Mais le plus important peut-être est de bien établir ce que sont les droits et les devoirs des neutres et des belligérans en matière de blocus et de contrebande de guerre, car dans le moment actuel, en