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janvier, février, mars et surtout en avril. On estime qu’il restait 750,000 balles de la récolte de 1860 lorsque le blocus fut déclaré, et la récolte de l’année, donnait environ 2,750,000 balles. C’eût donc été un stock de 3,500,000 balles à écouler dans l’hiver de 1861 à 1862. Or il n’en sortit guère que 50,000 balles des ports américains, et les gens du sud en détruisirent un million de balles pour les soustraire aux mains de l’ennemi. Qu’on juge par ces chiffres de l’étendue du désastre !

Un secrétaire de la légation britannique, M. Anderson, qui parcourait le Kentucky, le Tennessee et l’Arkansas au mois d’octobre 1862, évaluait la production de cette année à 1 million de balles, « et encore, ajoutait-il, ce sera réduit, faute de bras pour récolter. Si la guerre continue, on ne verra plus un champ de coton dans le Tennessee en 1863 ; toutes les terres arables seront mises en froment. » Des renseignemens analogues arrivaient de l’Alabama et de la Virginie. La balle, qui valait 40 dollars dans le sud, se vendait 200 à New-York. Les planteurs n’amenaient plus rien à la côte ; ils gardaient leur récolte en magasin, prêts à y mettre le feu en cas d’invasion par les fédéraux. En même temps ces malheureux états du sud se trouvaient privés de tout ce que le commerce d’importation avait l’habitude de leur fournir, tissus, vêtemens, toisons, métaux, produits chimiques, articles de Paris. Nul pays ne pouvait souffrir davantage de la suppression du commerce extérieur. Les objets de consommation courante aussi bien que les objets de luxe et de fantaisie atteignirent dès la première année de la guerre un prix exorbitant.

La conséquence naturelle de ce renchérissement général fut de donner une activité prodigieuse au commerce interlope. On l’a vu parce qui précède, violer le blocus n’était pas après tout bien difficile. Lorsqu’au retour du printemps, en 1862, il devint évident que les deux partis en lutte avaient assez de force et de ressources pour prolonger la guerre, les armateurs de l’Amérique et ceux de l’Angleterre comprirent que la contrebande devenait un champ d’entreprises, aventureuses A coup sûr, mais en revanche très rémunératrices. Le premier hiver, les négociais du sud s’étaient engagés dans ces sortes d’affaires avec de petits bateaux à vapeur qui faisaient timidement le cabotage entre les ports bloqués et Cuba. En 1862, les capitaux anglais vinrent donner à ce commerce une grande animation. Afin de diviser les mauvaises chances, la cargaison de chaque navire se partageait entre un grand nombre de négocians. L’importation consistait en articles manufacturés de tout genre ; l’exportation ne portait que sur le coton réduit par la pression au plus petit volume possible. Dans les ports d’attache, on n’annonçait