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d’état qui les acceptent en apprentissage, coûte annuellement à l’administration de l’assistance publique 3,506,131 fr. 64 cent. Cette somme serait plus considérable encore si, comme je l’ai dit[1], on ne s’ingéniait par toute sorte de moyens à secourir les mères indigentes pour les encourager à conserver leurs enfans. Les résultats obtenus ne sont pas tous aussi satisfaisans qu’on serait en droit de l’espérer. Bien souvent on se heurte à des natures vicieuses, corrompues, que nul sentiment humain n’émeut, ou qu’une faiblesse organique empêche de persister dans la voie du bien. Parmi les femmes qui ont reçu des secours, auxquelles on a payé les mois de nourrice, 156 en 1869 ont abandonné leurs enfans et les ont portés à l’hospice. Il est un fait à constater, et qui prouve que la maternité, comme tout autre sentiment, se développe par l’usage, par l’habitude : les abandons ont invariablement lieu dans les premiers mois qui suivent la naissance : 134 dans le premier mois, 13 dans le second, 6 dans le troisième, 2 dans le quatrième, 1 dans le huitième. Lorsqu’elle est accoutumée à son enfant, aux soins qu’il réclame, aux inquiétudes qu’il inspire, aux espérances qu’il fait concevoir, la femme ne peut plus le quitter : observation importante au point de vue de la physiologie générale, et qui semble affirmer que, chez la femme, l’action de la nature est à l’inverse de ce qu’elle est chez les animaux, qui tous se détachent progressivement de leurs petits au fur et à mesure qu’ils grandissent, et arrivent à ne plus les reconnaître.

Telle est dans son ensemble et dans ses principaux détails l’œuvre de l’assistance en faveur des enfans que la misère, la débauche, l’insensibilité, jettent sur le pavé de Paris. Tout ce service, auquel concourt un nombreux personnel d’employés, d’infirmières, de sœurs de charité, de médecins, est surveillé de telle sorte que les abus signalés autrefois ne pourraient plus se produire aujourd’hui ; mais une société mue par un sentiment de charité et par l’intérêt de sa conservation personnelle, agissant par une administration déléguée, si bonne, si secourable que soit celle-ci, ne remplacera jamais les soins maternels, dont l’absence laissera peut-être dans le cœur de l’enfant un levain d’aigreur et de colère qui plus tard le poussera à des actes mauvais. Plus d’un, après avoir traîné une vie misérablement incohérente, pour finir ses jours en paix, retournera vers cette assistance inépuisable qui l’a recueilli enfant, et ira frapper à la porte d’un de ces hospices destinés à la vieillesse dont nous parlerons dans une prochaine étude.


Maxime Du Camp.

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1870 : L’indigence à Paris et l’assistance publique.