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constate qu’aux Bradières les élèves couchent, hiver comme été, sur la paille, dans des bâtimens en bois, sans vitres et simplement clos avec des volets ; de plus, au réfectoire et sur les travaux, les pauvres enfans étaient accompagnés par des contre-maîtres toujours armés de longues baguettes dont l’usage se devine facilement : tous les pupilles furent immédiatement rappelés. En 1855, on avait placé 30 jeunes filles indisciplinées à Conflans, dans la maison succursale du Bon-Pasteur d’Angers ; elles s’en échappent, surtout au moment du carnaval, et viennent à Paris prendre des distractions qui n’avaient rien de commun avec la règle du couvent où elles étaient enfermées. On renonce pour elles à ce système d’amendement, et on les envoie brutalement à la maison des Dames-Saint-Michel, à celle de la Madeleine, et même en correction à Saint-Lazare. On voulut avoir recours à la colonie modèle par excellence, à Mettray ; mais il ne semble pas qu’on se soit arrêté à rien de définitif, car l’éminent directeur, M. de Metz, déclare que la vie agricole ne peut produire d’amélioration sérieuse que si elle se prolonge dans la vie militaire ou la vie maritime. La seule institution qui n’ait pas donné de résultats désastreux est le pensionnat que l’abbé Halcuin a fondé à Arras ; on y reçoit l’instruction primaire, et, — tout le nœud de la question est là, — loin de contraindre les enfans à des travaux de culture qui leur répugnent, on leur enseigne un état en les mettant en apprentissage chez des artisans de la ville où ils vont passer la journée. Aussi, à partir de 1861, on renonce définitivement à l’envoi dans les colonies agricoles, et l’on conserve seulement quelques élèves dans le pensionnat d’ Arras, où ils sont élevés et nourris pour la faible rétribution de 36 francs par trimestre. Du reste, les directeurs des colonies pénitentiaires semblent s’être rendu justice ; on disait à l’un d’eux : Quel est le résultat de votre système d’éducation ? Il répondit : Un seul, l’évasion.

L’assistance publique avait songé un instant, à l’époque la plus vive de ses illusions, à créer pour son propre compte une exploitation à la fois agricole et pénitentiaire où elle dirigerait ses pupilles récalcitrans. Dix années d’expériences pénibles et de déboires toujours renouvelés lui ont sans doute fait ajourner ce projet. Il vaut bien mieux laisser l’enfant dans la famille qui l’a recueilli tout petit, qui par lui a eu un gain minime, mais régulier, qui finit par le considérer comme l’un des siens, qui l’aime, l’adopte parfois légalement, le marie dans des conditions acceptables et même le rachète du service militaire. Ces faits sont moins rares qu’on ne serait tenté de le croire ; il ne se passe pas d’années que l’administration n’en ait à enregistrer de semblables, et ce n’est peut-être pas sans un certain orgueil qu’elle constate qu’agissant au nom